AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de cedratier


« S'émerveiller » Belinda Cannone (Stock, 187 pages)
S'émerveiller donc, encore, de l'écriture de Belinda Cannone, de sa langue travaillée sans en avoir l'air, harmonieuse autant que rigoureuse. Voilà un bon et beau livre, où les photos en noir et blanc sont les articulations de la réflexion. Aucune raison de se lasser, bien au contraire, mais ici lire et réfléchir avec elle à cet existentiel et contagieux appétit de vivre, à une capacité à s'étonner, à accueillir les petites et grandes beautés du monde, ce monde qui est fait de la nature et des hommes. On est heureusement loin d'une prose «feel-good» à la mode, de ces injonctions et recettes de bonheurs préfabriqués en promotion dont sont garnis les rayons des «espaces culturels» des supermarchés, et qui veulent nous transformer en «ravis de la crèche». Ce livre est un regard philosophique, dense autant que poétique sur la capacité à accueillir le merveilleux dans ses différentes dimensions. Un émerveillement qui ne vient pas de la beauté de l'objet, mais de la capacité du regard, du «regardeur». Ne rien renier des horreurs du monde, en particulier dans l'histoire récente, mais être capable d'accepter l'émerveillement, sachant que devant nous, il peut y avoir pire qu'hier.
Ce «Regarde, regarde», ce besoin de partager le regard émerveillé face au beau minuscule ou au cosmos infini est partout dans l'expérience de l'auteur, héritage peut-être de son père. Cette capacité à recevoir est donc générosité, capacité à offrir, «l'émerveillement est un mouvement littéralement altruiste.» Elle peut pourtant appeler un retour sur soi, une intériorité qui a parfois besoin de solitude. Elle ne s'inscrit pas forcément dans du gigantesque, elle se nourrit aussi de ces petits riens (un souffle de vent, un arbre, un oiseau). Mais parfois, l'émerveillement poussé à l'extrême est aussi immersion totale (dans des paysages grandioses, par exemple en montagne). Cet émerveillement, parfois éblouissement, peut advenir par surprise, nous saisir. Il est donc affaire de circonstances, de disponibilité, il nous fait sortir de notre route, il faut y être prêt, il est source pure (mais pas exclusive bien sûr) de création artistique. Belinda Cannone appelle «sentiment océanique» cette sensation que peut provoquer parfois en elle cette immersion dans le beau du monde. L'émerveillement exige de prendre le temps. Être, c'est être au présent.
L'émerveillement, avec sa part d'enfance, d'inutilité, en témoignent par exemple les immenses structures articulées que le sculpteur Théo Janssen déploie au vent sur les plages de la Mer du Nord, ces bêtes de plage, ces «strandbeests» qu'on peut découvrir dans de petites vidéos sur internet. Mais aussi la haie de son jardin, l'épaule de l'amant…
L'essai convoque vers la fin deux références. D'abord la photo d'une foule d'un bloc qui salue Hitler d'un bras levé durant une cérémonie nazie en 1936, et au milieu de laquelle August Landmesseur, ouvrier allemand, garde seul et ostensiblement les bras croisés sur la poitrine ; image saisissante et tout à la fois rassurante sur les ressources de l'humanité. Et le bref rappel du parcours de Germaine Tillon, résistante de toute une vie, et qui, par la générosité de sa colère, survécut au camp de Ravensbrück. Deux évocations qui renvoient elles aussi au sublime, et à la modestie de ceux qui résistent. «- J'ai compris que la question du sens de l'existence s'annulait (se dissolvait) dans la joie de vivre, dans le désir qui nous lance vers l'avant». Désir, le maître mot de Belinda Cannone ?
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}