AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domenicocortez


Il y a l'art éphémère, comme le théâtre, le chant, la danse, le ballet, la musique. Il y a l'art fixe ou défini, comme la littérature, la sculpture, la peinture. Mais ce qui demeure n'est pas toujours saisissable ou constant, car c'est dans le mouvement que s'incarne parfois ce qui est esthétique. La nature de l'art, de l'expression humaine, est devenue particulièrement difficile suite aux nombreux échecs de la conscience, aux multiples revers des hommes à travers leurs utopies déréalisantes et massacrantes. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, de Guernica aux fresques de Rivera, de Gulliver à Giacometti en passant par Stravinsky et Rodin: ce qui humanise, ce qui résonne en nous; ce qui déshumanise et contrevient, contrefait la conscience. le roman de Carpentier agit comme un double miroir et se questionne sur l'apport et les conséquences de ce parallèle entre l'art éphémère et l'art fixe, de ce que représente la danse (ici le ballet classique) et sa consécration, sa relation avec le monde, sa place, sa part d'humanité, son inconstance et son mouvement, mais cartographié par le roman, réincarné par le roman. La prose ici est mouvement, contredanse des personnages, se repoussant, s'attirant à nouveau, en une hybridation des corps, hybridation du roman et de la danse, hybridation des cultures européennes et cubaine.

Certains auteurs écrivent une comédie humaine en quarante volumes; d'autres se contentent de quelques oeuvres, comme Carpentier, mais la densité est telle que bien peu de lecteurs s'y risquent. Autant par les sujets abordés ici: les nazis qui bombardent l'Espagne, les collabos français à Paris ("Hitler plutôt que les communistes"), le règne de Batista et son Cuba Nostra, la chasse aux communistes du gouvernement réactionnaire états-uniens, les surréalistes et les cubistes européens désoeuvrés à New York, les trois révolutions du vingtième siècle...

Tout au long de ma lecture de ce roman, je pensais à Herzog, un livre unique et complet, abordant tous les sujets, s'invitant à toutes les controverses, épuisant les philosophes et les idéologues, consternant son lecteur. Se sentir vivre pour Herzog, c'est une lutte perpétuelle contre l'abstraction, c'est faire appel aux paroles des sages pour les confronter à la triste réalité, aberrante et faussée. le roman de Carpentier prend parfois des allures de manifeste contre cette abstraction, cette déshumanisation des arts, comme un hommage à Ortega y Gasset qui s'inquiétait de voir une esthétique dépourvue de signification et de visée autre que formelle, quand l'esthétique renonce à être une éthique. La danse sacrale serait-elle une poétique du roman qui refuse la révolution artistique de la première moitié du vingtième siècle, contre Joyce, contre Breton et Duchamp, contre Debussy et Mallarmé?
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}