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Critique de indimoon


Je ne saurais dire pourquoi l'évocation de notre futur ou d'un monde qui nous ressemble ou presque, est un thème que j'adore lire. C'est sombre le plus souvent, avec un auteur qui nous met en garde, et souvent les personnages passent après le message, même si ceux qui prennent le temps de les lire ne sont pour la plupart du temps comme moi que de piètres acteurs de ce futur, rêveurs et contemplatifs, déjà bien rangés à la noble cause qu'il défend!
Dans cette optique, tomber sur un auteur qui en plus manie les mots avec grâce, c'est la promesse d'un beau voyage, un bonus au propos et pas des moindres.
Nous y croiserons de surcroit des personnages crédibles d'êtres humains, j'entends par là parfaitement imparfaits.
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Je me cale avec ce petit livre noir, et je sais que je vais passer un bon moment dès les premières pages. Précision des mots, répétitions censées, dialogues marquants, sans guillemets et d'autant plus percutants car ils ont la dynamique de vrais échanges, par exemple cette dispute avec Manon la compagne du personnage principal Albert (p 77 à 82), alors qu'il rentre tard après sa rencontre avec "le Duc" qui souhaite qu'il apprenne à lire à sa fille. Une suite d'échanges, de sentiments et de réactions vivement et brillamment rendus. Autre moment de grâce peu avant au chapitre précédent où il évoque son cauchemardesque trajet à pied par une nuit sombre pour regagner son domicile à Armanville après sa journée de travail. J'ai trouvé extraordinaire la capacité d'évocation de l'auteur, sans doute aussi car il ne s'éparpille pas dans le livre, peu de décors, peu de personnages, il parvient à nous faire nous concentrer sur des moments très précis qui illuminent le récit.
le livre pourrait facilement être transcrit sur une scène de théâtre, mise en scène épurée, peu de décors, essentiellement la plantation, la route pour y aller, l'appartement d'Albert et Manon. La pièce où il apprend -il essaye- d'apprendre à Apolline la lecture, celle où elle "joue" au piano, l'unique "boutique" (bouiboui insalubre) d'Armanville.
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Quelque part, il va falloir se satisfaire de bon, mais de peu. Bien peu, à l'image des "petits" ouvriers qui s'activent à polliniser à la main des champs de cerisiers devenus stériles, ou font mine puisque "la conjuration" gronde. Albert Villeneuve et ses collègues d'infortune pollinisent chaque arbre du Duc avec une perche, pour un salaire de quelques pommes de terre ou betteraves, à la fin de la journée. Puis ils mettront 2h à pieds, sur des routes délaissées faute de pétrole, à rentrer dans le trou qui leur sert de logis. Ils attendront qu'il soit 21h pour avoir l'électricité leur permettant de cuire leur repas (jusqu'à 21h30).
Albert a connu le monde d'avant, ses rares incursions dans ses souvenirs d'enfance nous en font saisir toute l'amère nostalgie. Comment, en quelques décennies, a-t-on pu passer de "notre" monde à la régression d'un mode de vie qu'on croirait sorti du moyen-âge (avec seigneurs et paysans)? J'aurais aimé que le livre fasse le triple (petit bouquin de 182p), persuadée que l'auteur a la capacité de nous emmener très loin...Mais le narrateur, notre unique et exigu point de vue sur ce monde, a peut-être oublié le pourquoi, écrasé par cette impitoyable perte de son monde d'avant. D'ailleurs, "horrifié" par la façon dont Apolline joue frénétiquement du piano, il doit faire un effort pour se souvenir d'un mot qui semble appartenir à un passé complètement dissout, le mot est en italique dans le texte "désaccordé".
Morne tranche de vie, résignation puis révolte sourde, d'abord, le tout teinté de la fraîcheur appréciable apportée par le personnage d'Apolline...Il n'y a plus d'abeilles, plus de Soleil, les hommes ne bandent plus...Peut-on entrevoir un espoir?
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