Je te le dis, Eady, les guerres, les alliances et même les pays, ça va et ça vient. Mais ta vie t’appartient, singulière et sacrée, et tu dois choisir une personne qui te rappelle ça tous les jours.
C'est idiot, mais je m'étais avachie exprès dans mon fauteuil, en espèrant qu'elle se réveillerait pour m'ordonner de me tenir correctement.
J'avais du pouvoir, mais ne savais pas comment l'utiliser. J'étais une reine qui ne savait pas régner. Une jumelle abandonnée. Une fille sans parents.
— Je pourrais te dire que j’ai une matinée tranquille, mais ce serait un mensonge, admis-je. Je vais à une leçon de finnois. As-tu idée de la difficulté de compter dans cette langue ?
Papa sirota une gorgée de son café.
— J’entends parler cette langue depuis des années. Je ne peux que t’admirer d’essayer de l’apprendre.
— Henri est un jeune homme charmant, constata maman. Je ne m’attendais pas à ce qu’il te plaise mais il te fera sourire, c’est certain.
— Pfff. (Papa se tourna vers elle.) Qu’est-ce que tu y connais en mari ? La dernière fois que tu en as choisi un, tu es tombée sur moi.
Elle sourit en lui donnant une tape sur le bras.
— Vous êtes tellement répugnants tous les deux, leur dis-je en riant. Vous gâchez tout.
J'inspirai profondément.
- Je ne veux pas épouser Henri. Je veux épouser Eikko.
- Qui ça ?
- Erik. Son interprète. Je suis amoureuse de lui et je veux l'épouser. Et même s'il déteste être pris en photo, je veux mille clichés de lui que j'accrocherai sur tous mes murs et qui nous verront nous réveiller en riant tous les jours, exactement comme toi et maman. Je veux qu'il me fasse des beignets, comme sa mère le fait pour son père. Et je veux qu'on trouve notre truc à nous ou qu'on se rende compte que notre truc c'est tout, parce que je sens que si je l'épouse, même les choses les plus stupides auront leur importance.
Il reste figé, bouche bée.
- Ne le faites pas, rétorqua-t-il. Riez. Ce que vous pensez des gens est certainement en partie faux.
Le général Leger me décocha un clin d’œil. Je me levai et le suivis hors de la pièce, non sans m’être retournée vers ma mère, au cas où.
Elle n’avait pas bougé.
Dans le couloir, il me présenta son bras.
— Êtes-vous prête, ma presque-reine ?
Je lui pris le bras en souriant.
— Non. Allons-y.
Oui, ma vie était singulière et sacrée, mais depuis ma naissance - à peine sept minutes avant celle de mon frère - elle avait appartenu à tous sauf à moi.
Ça n'avait aucune importance, de toute façon : la baignoire n'était rien d'autre qu'un espace minuscule où je pouvais enfin cesser de faire semblant de tout maîtriser.
- On ajoutera ça à la liste des choses à faire. Se fiancer, fait. Changer le pays, fait. Qu'est-ce qui vient ensuite ?
Je jetai un coup d’œil vers le fond de la pièce. Papa serrait la main d'Eikko, tandis que maman déposait un baiser sur sa joue.
- Changer ma vie.