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Critique de HordeDuContrevent


Re-naissance…

Connaissez-vous Namazu ? La légende japonaise dit qu'il s'agit d'un monstre, d'un poisson-chat géant qui vivrait dans les profondeurs de la Terre. le Japon, qui repose sur son échine, redoute ses réveils : d'un mouvement brusque ou d'un simple frétillement de sa queue, Namazu peut ébranler l'archipel. La légende dit que les séismes naissent de ses colères.

Namazu a du se mettre dans une colère noire ce printemps-là, bondissant, anéantissant la ville de Tokyo, un séisme, le séisme de l'hanami, d'une magnitude jamais atteinte, 9,5 sur l'échelle de Richter. Engloutissant parmi les décombres, avalant en son antre, Line, jeune hôtesse de l'air française qui se trouvait en escale dans cette ville si belle au printemps avec ses cerisiers en fleurs. Elle va passer huit jours et huit nuits sous les décombres, dans un tout petit réduit et devra sa survie à la présence d'une autre femme, Saki. Toutes deux ne vont pas cesser de parler, de raconter leur vie, en se tenant les mains, dans le noir total, et de taper à tour de rôle sur la tôle pour se faire entendre des sauveteurs éventuels. Endurant la faim, la soif, l'engourdissement, l'angoisse. Jusqu'au silence.

« Elle avait allumé la lampe du téléphone, le faisceau avait balayé l'obscurité, révélant l'endroit où elles se trouvaient : un renfoncement, clos, constitué de parois fragmentées, imbriquées, grossièrement les unes dans les autres. Devant elles, de longues fissures, de la poussière, du sable, des murs si près de leurs visages qu'il aurait mieux valu ne pas les avoir vus, ne pas y penser, pour pouvoir continuer à respirer. Elle étaient prises au piège dans un enchevêtrement de béton où brillaient des éclats de verre ».

Line sera une miraculée. Retrouvée saine et sauve, du moins en apparence, très affaiblie mais sans blessure grave, le retour à Paris auprès de son compagnon, Thomas, ne sera cependant pas si simple. En réalité traumatisée, les vraies fissures se situant ailleurs que sur son corps, ne se souvenant pas vraiment de ce qui s'est passé, mais revivant par flashs intermittents la tragédie, cet accident a ouvert en elles de profondes lézardes creusant leurs sillons en des zones invisibles, des fissures pour certaines remontant à l'adolescence.
« Les grandes catastrophes recélaient presque toujours des histoires de survies extraordinaires. Mais après ? Qu'y avait-il après le miracle ? ».

En elle, c'est un champ dévasté à l'image de la ville de Tokyo. Pour pouvoir se reconstruire, elle décide de fuir, un peu à l'image de ces évaporés du Japon les johatsu qui, par honte suite à un licenciement, à une rupture, à un échec, décident de fuir, de s'en aller, en ne prévenant personne.
Sa destination, hypnotique, sera la petite île française où a grandi Saki, sa compagne d'infortune avec laquelle elle a partagé cette longue nuit sous terre, dont elle n'a aucune nouvelle depuis qu'elle a été sauvée. Elle retrouve sa maison d'enfance qu'elle lui avait tant décrite et elle fait la connaissance de l'occupante actuelle de la maison, une vieille femme prénommée Rose.
Sur cette île atlantique battue par les vents, à l'air chargée d'embruns, commence alors sa reconstruction progressive. Combattant ses fantômes, laissant l'ancienne Line au fin fond des décombres, nous allons assister à sa lente et délicate renaissance. Cette nouvelle Line née d'un séisme, « mouvement de bascule qui avait modifié la configuration initiale de son monde ». Une histoire, au coeur du chaos, qui a ouvert un chemin de lumière, envers et malgré tout, un ondoiement tenace et sauvage de la liane, du lierre et de l'eau sous la robe de Line.

J'ai particulièrement aimé l'écriture de ce livre, délicatement poétique. J'ai aimé sa façon de narrer l'île et ses paysages sans cesse mouvants à l'horizon infini, au ciel si vaste. C'est un tel contraste avec le réduit dans lequel nous vivons l'enfermement de Line. Nous avons d'autant plus l'impression de respirer avec elle. Autant j'ai lu presque en avalant ma salive son enfermement, autant j'ai eu la sensation de mieux respirer une fois la jeune femme sur l'île. du noir d'un côté, une luminosité sans fin de l'autre. Tels les yeux de Rose, des yeux vairons. Notons également des descriptions très belles de Tokyo avant et après le séisme.

« On raconta que, lors du séisme, une pluie de pétales avait recouvert Tokyo. Les secousses avaient eu lieu pendant la pleine floraison des cerisiers. Lorsque la terre trembla, que les sols se fragmentèrent, se déchirèrent comme des nappes de papier, les fleurs furent arrachées et soulevées par le vent, retombant n milliers de corolles roses et blanches sur la ville, se mêlant à la poussière et aux gravats ».

J'ai été moins sensible, paradoxalement, aux petits poèmes clôturant certains des chapitres, sortes de haïku, qui n'apportent pas grand-chose, je trouve, car l'écriture de Caroline Caugant se suffit à elle-même et n'a pas besoin de ses ajouts quelques peu surfaits. Certains des personnages secondaires ne sont pas très approfondis non plus notamment le compagnon de Line, Thomas. Mais ces petits bémols mis à part, j'ai pris vraiment plaisir à lire ce livre.


Oui, une belle surprise que ce livre de Caroline Caugant reçu en masse critique privilégiée. Je l'avais commencé avec un peu de scepticisme, pressentant, à tort, une histoire emplie de poncifs sur les notions parfois galvaudées de résilience et de reconstruction, une forme de liste à la Prévert des conséquences multiples des grands traumatismes. Une approche simpliste du syndrome post-traumatique. La peur aussi de voir dans le personnage de Line l'archétype de la victime devant se reconstruire à la psychologie brossée en gros traits brouillon. Ce fut en réalité une lecture agréable, délicate, gracieuse, poétique.

Les scènes d'enfermement, pour moi qui suis claustrophobe, furent éprouvantes à imaginer mais il me semble justement n'avoir jamais lu de roman dans lequel une personne se trouve ainsi piégée des heures et des jours durant dans un réduit minuscule, dans le noir absolu. J'avais été marquée en revanche par un film assez proche dans la thématique de l'enfermement et du piège, le film réalisé par Danny Boyle, 127 heures, qui relate l'histoire vraie d'un alpiniste d'une vingtaine d'années victime d'un accident en avril 2003 dans le grand Canyon, un gros monceau de pierre lui ayant roulé sur le bras dans une des gorges du canyon, bras dont il devra se séparer s'il veut pouvoir repartir et vivre. Et notre homme de se couper le bras avec son couteau suisse…
Comme souligné précédemment, par ailleurs le contraste entre cet enfermement dans une cage de béton et la reconstruction sur l'île, procédé pourtant classique tant l'opposition est évidente, m'a apporté beaucoup de plaisir. Les récits maritimes ont vraiment cette faculté d'apaiser de par leur paysage à la fois immuable et changeant. Suivant le continuel mouvement des marées, les nuages, la lumière, le vent, la densité de l'air se modifient sans cesse. « Quelque chose – une couleur, une voile, la force du vent ou la forme d'un nuage – venait toujours s'immiscer dans le décor pour le bouleverser ». Pour moi il n'y a pas meilleur endroit pour se reconstruire et renaitre, repartir de zéro.


Au final, Insula a été une belle surprise, un bien agréable moment de lecture, au fur et à mesure des pages tournées avec une crainte initiale qui a été peu à peu balayée. le ton est juste, l'écriture délicate, les petites touches sur la mythologie japonaise très plaisantes. Il faut le lire davantage comme un conte que comme un roman réaliste, le conte du soi fragmenté puis réinventé…
Aussi je remercie chaleureusement pour leur confiance Babélio et les éditions du Seuil.



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