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Critique de JustAWord


Après un détour chez ActuSF pour son dytique YA Rouge Toxic/Rouge Venom, Morgane Caussarieu nous revient chez Au Diable Vauvert pour un nouveau récit sur la jeunesse qui a les crocs…mais pas ceux que vous pourriez croire. Pas de vampire cette fois pour la française mais une autre figure monstrueuse archi-connue : le loup-garou !

Vieux-Boucau-les-Bains, une enfance
Sasha a dix ans, c'est une gamine comme tant d'autres, une gamine de Vieux-Boucau dans les Landes, une gamine qui a des problèmes. Comme toutes les gamines en somme ou presque. Car Sasha n'aime pas qu'on la prenne pour une fille, elle n'aime pas les trucs réservés aux filles comme ce journal de couleur mauve avec une drôle de souris dessus, Diddl, comme ces robes idiotes qui la font paraître maladroite et peut-être même un peu « salope » comme son père lorsqu'il parle des femmes. Sasha n'apprécie pas les trucs de filles, n'a pas le look d'une fille, n'a pas les cheveux d'une fille. Bref, Sasha adorerait être un garçon et se tient le plus souvent à l'écart des autres, préférant traîner avec son propre « Club des Ratés » en compagnie de Brahim, l'arabe qu'on regarde de travers, et Jonathan, le gros diabétique dont tout le monde se moque. Voilà qu'un jour, JoJo disparaît, enlevé par une femme à barbe dans une camionnette et retrouvé quelques jours plus tard par les gendarmes tout maigrichon sur une aire d'autoroute. Un changement d'apparence qui bouleverse sa mère, Marylou, cette maman-poule qui couve son tout-petit Jonathan tellement fragile, tellement malade. Devant le mutisme du garçon après son enlèvement, Marylou s'inquiète d'autant plus… surtout lorsqu'une vertèbre qui n'était pas là auparavant apparaît sur sa colonne vertébrale…Mais qu'est-il arrivé à Jonathan ?
C'est sur cette intrigue qui sent bon les années 90 que Morgane Caussarieu nous offre sa version personnelle de Stranger Things version Chair de Poule. Vertèbres est un pur roman-doudou, une Madeleine de Proust pour tous les enfants qui ont grandit dans les années 90. Morgane y revient sur un monde aujourd'hui disparu et qui tirera certainement quelques larmes aux nostalgiques des Pogs à la récré et de chansons de Roch Voisine. Sasha est une enfant de ces années-là, avec tout le bon et le mauvais que l'on en retire, des stéréotypes ultra-genrés aux sorties entre potes sur la plage en passant bien évidemment par une certaine culture geek alors en pleine ascension.
C'est l'ère pré-internet, où les copains sonnent à la porte des uns et des autres pour partir en virer, où l'on soigne son Tamagotchi du mieux que l'on peut et où l'on appelle son chien Mégazord.
Cette atmosphère parlera donc à tout une frange de lecteurs biberonnées aux Minikeums et aux jeux Megadrive. Mais c'est aussi, paradoxalement, le point faible de ce récit, avec une fâcheuse tendance de temps à autre au name-dropping qui force le trait. Comme Stranger Things, Morgane Caussarieu installe une atmosphère générationnelle par la culture qui entoure Sasha, son héroïne, risquant parfois de s'y noyer elle-même.
Mais, heureusement, Vertèbres n'est pas que ça, loin de là.

Femme(s) des années 90
Écrit et pensé comme un Chair de Poule, ces récits d'horreur signé R.L. Stine qui ont fait le bonheur des enfants et adolescents des années 90, Vertèbres profite de l'écriture enlevée, faussement légère de la française qui explore son thème favori : celui des monstres…et des gamins. Comme Poil de Carotte dans Je suis ton Ombre, Sasha est aussi représentative des gamins de son époque qu'elle en est différente et fascinante. En explorant à demi-mots la dysphorie de genre, Morgane Caussarieu tente une chose très intelligente lorsqu'elle la fait correspondre au monde qui entoure sa jeune héroïne.
Une héroïne qui n'aime pas les filles et se sent garçon, mais comment vouloir être une fille quand votre père vous décrit sans cesse les femmes comme des « salopes », qu'il n'aime pas vous avoir dans ses bras parce que vous êtes une petite fille ou que votre autre modèle masculin est un grand frère qui agit comme un connard la plupart du temps ? Comment avoir envie d'être une fille quand les autres filles se moquent de vous et détestent vos centres d'intérêts et votre façon d'être ? L'environnement joue un rôle clé dans le phénomène et Morgane Caussarieu le comprend parfaitement, expliquant le rôle de l'entourage et même de la société en général. Sasha confie ses pensées à son journal intime, parce que même les garçons le font, et parce qu'elle a aussi besoin d'un confident, d'une « personne » à qui confier ce qu'elle n'arrive à exprimer à personne d'autre dans une époque qui ne semble jamais vouloir d'elle. C'est un peu le même problème dont souffre Jonathan, son ami obèse revenu totalement transformé après son enlèvement-mystère. Sauf que Jonathan n'intéresse pas tant Morgane que sa mère, Marylou au prénom si bien choisie, Marylou qui illustre et prolonge le propos sociétal qui accable déjà la jeune Sasha. Marylou, la « salope » qui couche avec tout le monde, la « mère-poule » toujours en demande. Quand on est une femme dans les années 90, on est soit une salope soit une mère, et plus rarement les deux à la fois, surtout quand il n'y a pas de père dans l'équation. Marylou servira de seconde narratrice, à la deuxième personne du singulier, s'interpellant et interpellant le lecteur, se questionnant ou s'admonestant.
Ensemble Marylou et Sasha vont assister à la naissance d'un monstre, le fameux loup-garou du récit qui ne sera une surprise pour personne et pour cause, le monstre est ailleurs.

The Evil Within
Comme dans Je suis ton ombre, Morgane Caussarieu joue avec une figure monstrueuse archétypale pour révéler le vrai monstre à côté, celui qui fait du mal en sourdine à son prochain, celui qui humilie et qui infantilise, celui qui frappe et celui qui fait mal. Car au-delà de la transformation des corps, de ce passage à l'adolescence où l'enfant devient parfois un « monstre » aux yeux des autres, la française dévoile la cruauté toute humaine d'un père ou d'une mère, des monstres qui s'ignorent et que le reste du monde ne voit pas avec autant d'évidence qu'un loup-garou qui se balade dans les rues de Vieux-Boucau. Chez Morgane Caussarieu, le monstre n'est jamais celui que l'on croit, il se terre, il se cache.
Et c'est là aussi où la française fait mouche, dans sa façon de rapporter les choses, un journal intime d'un côté, un récit-confession de l'autre. Des témoignages où la vérité n'est pas entière ou, du moins, elle l'est selon son autrice, pour se préserver parfois, pour garder une image qui n'est que celle que l'on souhaiterait voir clairement. Des petites divergences, des oublis sans importance mais qui changent quand même pas mal les évènements, prouvant que nous renfermons tous une part de mensonge lorsque l'on parle de soi, lorsque l'on témoigne du passé.
La monstruosité se terre peut-être dans nos mensonges, dans notre refus de voir notre part de culpabilité et d'accepter que le monde n'est pas en noir et blanc mais en niveaux de gris. Vertèbres n'aime pas le jugement binaire, il arrive à donner de l'empathie au lecteur envers un loup-garou tout en crocs et en fourrure mais aussi envers une mère à la dérive qui a été trop loin. Morgane Caussarieu n'excuse pas les monstres, elle les explique, elle les dissèque entre deux tubes de Lara Fabian. Et c'est l'humanité qui en ressort à la fin, toute nue et blessée.

Roman-pulp ou roman-doudou, Vertèbres soigne son atmosphère au risque d'en devenir parfois étouffant. Heureusement, Morgane Caussarieu a plus d'un tour dans son sac et construit une fois de plus des personnages magnifiques, troublants et monstrueusement humains pour une lecture qui se dévore au moins jusqu'à la pleine lune !
Lien : https://justaword.fr/vert%C3..
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