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Critique de migdal


Cet ouvrage regroupe les contributions du colloque pluridisciplinaire réunissant à Toulouse et dans le Lot, en octobre 2018, des universitaires, des élus, des représentants de l'état mobilisés autour des Chemins de Saint-Jacques désormais inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Cette manifestation étant internationale, plusieurs conférenciers s'expriment en anglais ou en espagnol et l'éditeur n'a pas traduit leurs interventions. Par ailleurs, le contexte universitaire explique que certains exposés sont truffés d'acronymes plus complexes à comprendre qu'un texte en anglais ou en espagnol … qui sait que FRAMESPA évoque « France Amériques Espagne Sociétés Pouvoirs Acteurs » et qui devine que VUE désigne une « Valeur Universelle Exceptionnelle » ? Patrick Fraysse et Daniel Jacobi rappellent d'ailleurs (p.261) que «l'histoire, comme toutes les sciences, est publié dans un jargon scientifique difficilement compréhensible par un public de non-spécialistes ». D'où le temps que j'ai investi à décrypter certains articles, mais je suis largement récompensé car ils sont passionnants et m'ont rajeuni de 60 ans puisque c'est en 1962 que j'ai découvert Compostelle.

Aucun ecclésiastique n'ayant contribué, ces 356 pages oublient de rappeler qui est Saint Jacques et d'où vient le nom Compostelle. Je prends la liberté d'emprunter au site www.nominis.cef.fr ce rappel « St Jacques le majeur était fils de Zébédée et frère de saint Jean l'évangéliste. Ils étaient pêcheurs sur le lac de Tibériade, compagnons de Simon et d'André. Ils étaient dans la barque de leur père et réparaient les filets quand Jésus, passant sur le rivage, leur dit :"Suivez-moi." Ils le suivirent. Avec Pierre, Jacques et Jean seront les plus proches des apôtres de Jésus. Ils sont à la Transfiguration, ils entrent auprès de la petite fille de Jaïre. Ils seront au jardin des Oliviers. Jacques, comme Jean, désire la première place auprès du Maître (Marc 10. 37). Il y gagnera l'annonce de son martyre: "Ma coupe, vous la boirez."

Décapité par ordre du roi Hérode Agrippa, aux environs de la Pâque en 42, Jacques fut le premier des Apôtres à recevoir la couronne du martyre.

A la fin du 7ème siècle, une tradition fit de Jacques l'évangélisateur de l'Espagne, avant sa mort ou par ses reliques.

Son corps aurait été découvert dans un champ grâce à une étoile : le campus stellae, devenu Compostelle. Après Jérusalem et Rome, ce fut le lieu d'un des plus célèbres pèlerinages de la chrétienté au Moyen Age et de nos jours encore. »

Adeline Rucquoi présente un historique du pèlerinage depuis le Moyen Age avec trois dates clés :
- vers 830 découverte du tombeau de Saint Jacques ; début des pèlerinages vers Compostelle.
- mai 1589, les anglais de Francis Drake menaçant de débarquer à Compostelle, les reliques sont cachées, perdues ; interruption des pèlerinages.
- 1879, des fouilles retrouvent les reliques ; les pèlerinages reprennent.

Francisco Singul évoque le rôle du Cardinal de Herrera (1889-1922) dans la relance du pèlerinage. Manuel F. Rodriguez prolonge (en espagnol) l'historique depuis 1879 en s'intéressant notamment aux années franquistes (1939-1975), à la venue en 1982 du Pape Jean-Paul II dans le contexte de démocratisation et de régionalisation qui aboutit en 1993 à la laïcisation de l'organisation confiée à la Junta de Galicia … le randonneur succède au pèlerin…le produit touristique se substituer à la démarche spirituelle.

Olivier Poisson et Laura de Miguel Riera précisent comment le « camino frances » en Espagne, puis « les chemins de Saint Jacques » en France ont été inscrits au patrimoine et dessinent le périmètre du bien avec ses 71 monuments et 7 sections.

Puis les chercheurs et les politiques (Martin Malvy rappelle l'impératif « une mission, un chef, des moyens ») se succèdent et présentent les projets menés pour restaurer les bâtiments (églises, ponts, hospices), les calvaires, sécuriser et accroitre les chemins de randonnée. J'ai apprécié la franchise de Vincent Biot qui explique pourquoi et comment le projet « Via Arverna » s'est embourbé … un exposé riche en leçons à en tirer …

Pierre Zembri alerte sur la politique « tout pour le TGV » que la SNCF poursuit et qui menace à court terme (5 ans ou moins) ou moyen terme (10 ans) nombre de lignes en lien avec les itinéraires des chemins de Saint-Jacques, ce qui fera dérailler à terme les itinéraires de Vézelay et du Puy en Velay. On se souvient que la suppression des trains Corail et des wagons aménagés vers Lourdes en 2014 interdit depuis lors le pélerinage de milliers d'handicapés vers la cité mariale.

L'architecture, l'art, la géographie, l'histoire, la littérature, le digital, le tourisme et l'économie sont tour à tour passés au crible et permettent de valoriser les efforts de centaines de bénévoles et l'apport important et régulier que les randonneurs apportent à la prospérité de régions trop peu connues et visitées. Je regrette qu'aucun bénévole et aucun randonneur n'ait contribué au colloque et qu'ils soient seulement évoqués en page 195 (annexe 1) … si l'on souhaite commercialiser un « produit » il est indispensable d'écouter le « prospect » ou le « client ».

La pépite anecdotique de ce livre est, à mes yeux, le chapitre consacré au village d'Estaing, lieu touristique dominé par son donjon octogonal, célèbre depuis plus de mille ans pour abriter les reliques de Saint Fleuret. le site Nominis indique « D'après les documents, Saint Fleuret, confesseur, est un évêque d'Auvergne du Ve siècle. Fidèle à Rome, il a lutté contre l'arianisme des Wisigoths qui tenaient à cette époque la Gaule aquitaine. A son retour d'un voyage à Rome, il séjourne à Estaing. La population est frappée par ses prédications, sa douceur et sa compassion. Après avoir fait jaillir une fontaine – la sècheresse sévissant dans toute la région – et guéri des malades, il envisage de continuer son voyage. Mais il tombe malade et meurt à Estaing. Sa réputation de sainteté ne fait aucun doute pour les estagnols. ». le site ajoute « il serait le même que saint Flour, probable apôtre de la Haute-Auvergne du IVe ou Ve siècle » et « Peut-être s'agit-il de la même personne que saint Florez fêté ce même jour.. ». Saint Fleuret était donc pour le moins oublié, voire nié, jusqu'à ce que la commune réalise un inventaire (2013-2018) des biens jacquaires, prélève un fragment des reliques, les confie au laboratoire Archeolabs, dont la datation radiocarbone situe le mort entre 431 et 558 et que deux autres reliquaires permettent de compléter un « ensemble cohérent » rendant ainsi à Saint Fleuret sa juste place comme le soulignent Yves Palobart et Christian Mullier.

Enfin Kathryn Brush évoque (en anglais) le savoureux voyage, en 1920, d'Arthur Kingsley Porter et de son épouse, qui aboutit à la publication de « Romanesque Sculpture of the Pilgrims Roads » en 1923 et Xavier Barral i Altet honore « le rôle des historiens de l'art dans la construction du mythe de l'existence d'un art médiéval propre aux chaînes de Compostelle » dans un très long et très pédagogique exposé.

Richement illustré, cet ouvrage est remarquable et ouvre des perspectives intéressantes vers le Puy en Velay et le Mont Saint Michel dont c'est le millénaire en 2023.

Ce « regard contemporain sur les chemins de Saint-Jacques » incitera de nombreux lecteurs à se mettre en marche vers Compostelle et certains méditeront peut-être en cours de route l'évangile de Saint Luc « les pierres crieront » (Luc 19:40)

Merci aux Presses Universitaires du Midi et à BABELIO de m'avoir adressé cet ouvrage qui rejoint « Sculptures romanes toulousaines : Regards croisés » le précédent chef d'oeuvre de Quitterie Cazes dans notre bibliothèque.
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