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Critique de michfred


Une frontière.

Une ligne de démarcation invisible, comme celle séparant les quartiers de deux bandes rivales dans le feuilleton chinois que les jeunes espagnols des années 1978 regardent à la télévision.

La frontière bleue.

Matérialisée , à Gérone, par deux fleuves séparant les quartiers de la bourgeoisie moyenne et les quartiers mal famés.

Le quartier du Binoclard, adolescent timide et harcelé cruellement par ses camarades de bahut et le quartier des logements sociaux et des taudis, habités par Zarco et sa bande. Et par la belle et mystérieuse Tere.

Pour avoir franchi cette frontière- tant pour fuir son statut de victime que pour connaître avec Tere les premiers frissons du sexe et de l'amour- Ignacio Canas, dit le Binoclard,va voir toute son adolescence d'enfant sage basculer d'un coup. Le voilà "on the dark side" lui, le petit bourgeois timide et bon élève. Et les choses vont très vite, quand on rentre dans la bande de Zarco...Le temps d'un été...

Pourtant, son père et un flic intelligent le sauvent du grand plongeon et une deuxième chance lui est offerte. Le Binoclard devient avocat. Mais la frontière bleue là aussi le rattrape: est-ce sa fascination pour le héros noir, Zarco, son attirance toujours irrépressible pour Tere, ou son désir fou de comprendre ces trois mois d'été qui ont à jamais marqué leur brûlure sur son adolescence et sur sa vie d'adulte? Il se spécialise dans la défense des causes perdues, des "rebells without a cause"..et retrouve ses anciens héros, ses anciens démons...

Il cherche à comprendre, avec l'aide d'un écrivain en quête d'un nouveau regard sur le mythique Zarco. Mais la vérité est un exercice difficile...

Peut-être, finalement, qu'on ne comprend jamais ce qui nous pousse à franchir le pas, ce qui nous fait perdre pied et tanguer, vaciller dangereusement sur cette ligne de partage des eaux...

Aussi objectif et intransigeant que "les Soldats de Salamine", plus romanesque , moins historique, mais aussi très ancré socialement dans cet après-franquisme qui a vu l'Espagne basculer ,après la dictature, dans une permissivité débridée, le récit de Cercas est comme cadré par le procédé de l'interview, qui lui donne l'accent de la vérité et un recul critique évitant tout romantisme noir.

On garde la tête sur les épaules,on mesure toute l'ambiguïté des sentiments et le parcours erratique des actes. Les lois de l frontière gardent donc l'équilibre, laissent au mystère des passions et des mobiles tout leur poids, mais l'empathie envers les personnages s'en trouve bridée: j'ai préféré Les Soldats de Salamine, à cause du personnage de Mirallès, qui fusionne tellement avec sa personne que nous perdons soudain toute réserve critique et toute distance, pour une tendresse subjective et bouleversée .

Rien de tout cela ici: Cercas garde sang-froid et maîtrise même si ses personnages perdent leur aura ou leur légende et si leurs personnes se dégradent, se détruisent et sont renvoyées au néant.

Un regard décapant et sans aucun soupçon de romantisme facile sur les années dites de la Transition..
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