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Critique de Soleney


J'ai été complètement chamboulée par cette lecture... C'est une histoire « comme tant d'autres », celle d'un père violent et d'un mari indigne qui bat sa femme et ses enfants. Il existe beaucoup de témoignages de ce genre, mais celui-ci est véritablement « un coup de poing », comme dit l'éditeur. L'histoire est racontée du point de vue de Grace, la mère, ainsi que de Jewel, l'aînée. Toutes deux sont le bastion qui protège Esther, la cadette.
Mais Grace n'en peut plus. L'humiliation, les viols et violences répétés, le mépris, l'indifférence des proches viennent à bout de sa raison. Un jour, dans un magasin, elle s'effondre, se met à hurler et à pleurer. Elle est aussitôt enfermée dans un hôpital psychiatrique et bourrée de médicaments. Ses deux filles sont seules avec « le monstre ».

Mais à l'inverse de sa mère, Jewel est forte. Elle fait avec les insultes, les cris et les coups de son père, elle serre les dents en attendant de pouvoir lui rendre la pareille. On la voit évoluer au fil des années, tout d'abord petite fille qui se raccroche encore à l'espoir que sa mère trouve le courage de les protéger, puis jeune fille, quand c'est elle qui défend les autres. En conséquence, son père la rabaisse à l'état d'animal : « Retiens ta chienne, Grace ! Retiens ta chienne ou ça va mal finir ! »
Mais la violence de William ne s'arrête pas là, il s'applique également à priver tout le monde de liberté. Les filles sont contraintes d'aller à la messe, d'avoir l'air joyeux dans la rue parce qu'une bonne chrétienne ne doit jamais tirer la tronche (sous peine de se faire traiter de petite saloperie), d'écouter régulièrement la musique qu'aime Monsieur, les sketches que Monsieur veut voir, les émissions télé ridicules et médiatiques dont Monsieur a envie, de respirer la fumée du cigare de Monsieur parce qu'il n'a pas envie de conduire avec la fenêtre ouverte, et ainsi de suite.

Tout au long de ma lecture, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander ce qui poussait William à persécuter sa famille.

Je ne comprends pas non plus comment on peut ne pas plaquer cette pourriture et s'enfuir avec ses enfants sous le bras.
Mais Grace est dans un piège psychologique très complexe qui l'empêche de partir : elle a honte de son choix de mariage et elle ne veut pas que les gens sachent à quel point l'homme qu'elle a épousé est raciste, grossier et violent. Par la suite, elle a peur qu'il fasse du mal aux filles si elles s'enfuient et qu'il les retrouve – d'ailleurs elle ne sait même pas où aller, elle n'a pas d'amis et son frère ne la soutient pas – ; puis elle a honte d'avoir laissé se dérouler toute cette horreur sous son toit (les gens ne comprendraient pas qu'elle ne soit pas allée au commissariat plus tôt) ; et enfin, elle a peur de ne plus avoir la garde de ses filles – chose qui arrivera très sûrement, à présent qu'elle a longuement séjourné en hôpital psychiatrique.
J'ai beau avoir conscience de toutes ces difficultés qui sont sur la route de Grace, je ne comprends pas comment elle fait pour supporter cette énergumène qui ne mérite même pas le nom d'homme. Le seul moyen de s'en sortir est de se rendre compte qu'il n'est JAMAIS trop tard.
Je ne sais pas que ce que ça fait d'être une femme battue et de croire qu'on est coincée pour toujours avec ce type. Je ne sais pas que ce que ça fait de penser que c'est tout ce qu'on mérite, qu'on l'a bien cherché, et je prie pour que ça n'arrive jamais. C'est pourquoi je ne peux me permettre de juger – personne n'en a le droit. Je souhaite juste à toutes les femmes qui subissent ça de réaliser qu'elles n'ont pas à souffrir de leur mariage, que personne ne mérite cette vie et que ce qui leur paraît hors de portée n'est pas toujours si inatteignable.



J'ai été stupéfaite quand je me suis rendue compte que c'est un homme qui a écrit cette histoire. Les sentiments des personnages sont tellement bien retranscrits, les deux protagonistes sont si profondes et humaines que j'ai réellement cru que c'était une femme qui parlait en connaissance de cause. Le sentiment que cette histoire est basée sur des faits réels, voire des souvenirs, n'arrive pas à me quitter. A-t-il vu une proche souffrir de cette situation ? L'a-t-il lui-même subi différemment ?

Pour finir, je pense que la couverture correspond parfaitement à l'ambiance du livre. C'est noir, c'est gris, cet arbre est terriblement menaçant. Son ombre fait penser à une main – presque une serre – qui s'étend jusqu'à son fruit. Cette orange, pourtant, est en parfaite santé : sa couleur est insolemment vive à côté de l'obscurité. Ça représente terriblement bien Jewel et son père : il veut la contraindre, la plier à ses volontés, mais elle lui résiste, refuse les vérités qu'il veut lui imposer. Et finalement, elle sort grandie de cette expérience, avec ses convictions propres. Elle devient une fille ouverte et tolérante, quoique méfiante envers les inconnus – fatalement.

Le livre de Jean-François Chabas est un véritable appel à la force et à la volonté. Quand les filles s'en sortent, c'est d'une manière tellement simple (presque banale !) que c'en est aberrant de voir le nombre d'années que Grace a tenu sans rien faire. Je suis mortifiée pour elle, qui était trop terrorisée pour agir, et j'espère de tout mon coeur que les femmes qui sont dans sa situation trouveront le courage de ne pas se laisser abattre.
Un livre terriblement marquant...
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