Les vaisseaux d'autrefois ne sont plus. Me souvenant des trois-mâts qui m'ont bercé, à l'aube de ma vie d'officier, j'ai voulu évoquer leurs ancêtres au soir de ma carrière de marin, et conter la vie d'un des grands chefs qui les ont conduits à la bataille.
J'ai choisi du Chaffault.
Seule la marine l'admire. L'Histoire l'a oublié.
Il m'a paru équitable de le placer au niveau qui doit être le sien ...
"L'Atalante" gouverne comme une petite demoiselle ...
Pour l'équipage la grande misère commence.
C'est le quart à courir, de quatre en quatre heures, sous l'averse et l'embrun, travail normal du matelot.
Contre les eaux du ciel et de la mer, on n'a que des haillons pour se couvrir car, bien, qu'il présente en embarquant un accoutrement complet dont l'étoffe, la coupe et la couleur sont d'ailleurs laissées à sa fantaisie, le marin terriblement porté à la lampée, ne manque jamais de revendre ses hardes avant l'appareillage, pour arroser le départ en campagne dans les cabarets du port, ou simplement, pour laisser à sa famille quelque argent qui l'empêche de mourir de faim.
En effet, la marine du Roi paie peu et, ce peu elle le paie mal.
Les commissaires, dont la caisse est trop souvent vide, refusent toute avance et laissent les hommes sans un rouge liard pendant six mois et davantage ...
A cette époque Brest, premier port de guerre du Ponant et ville de perdition aux yeux des vieux bretons mystiques et nourris de légendes, voit défiler des visiteurs de marque qu'attirent les grands travaux, préludes d'expéditions prochaines.
Le port, coeur et raison d'être de la ville, les deux rives de la Penfeld sinueuse, qu'étranglent des collines de schiste graniteux, au flanc de quoi s'accrochent les édifices de l'arsenal, bâtis au Grand Siècle le long du flot qui monte ou baisse selon le malaxage des marées, les grandes formes de radoub taillées en plein roc, les corderies haute et basse aux douze cent cordiers et aux salles longues de quatre cent mètres, la voilerie, le bagne, les casernes, les ateliers, le parc des subsistances, la boulangerie aux quarante-cinq fours, le magasin aux quarante mille fromages et les grandes forges, spectacle d'enfer, voient passer le comte d'Artois, futur Charles X, qui fait grand accueil à du Chaffault et daigne, le 14 mai, passer son escadre en revue avant d'être, six jours plus tard, l'hôte du vieux marin à bord du "Magnifique" ...
A bord d'un vaisseau le profane qui, du pied d'un mât, après avoir, tête renversée, contemplé la triple croix des vergues, regarde à hauteur d'oeil, demeure bouche bée devant la multitude de cordages qui habillent l'énorme fût de bois ...
Dans la marine, on appelle "dîner" le repas du milieu de la journée et "souper" le repas du soir ...
C'est en somme, sur la rade de Brest, une magnifique forêt de mâts ...