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Critique de gthouroude


Ce livre est un manifeste qui devrait me plaire, puisqu'il promeut la littérature du voyage. Sauf que le manifeste en question est un tissu d'âneries, si bien qu'il dessert la cause du récit de voyage. A le lire, on a plus envie de se désolidariser de ce type de littérature que de signer le manifeste.
L'auteur de l'introduction-manifeste n'est autre que Michel le Bris, un des signataire du livre et l'organisateur du festival Etonnants voyageurs de Saint-Malo.
Pour résumer, le Bris dénonce la littérature française, à laquelle il trouve trois fléaux : l'idéologie, le moi, et le formalisme. Pour la revivifier, il faut une « littérature voyageuse » sans idéologie, sans moi et sans forme.

Comme il sent bien que tout cela ne va nulle part, il invente des notions sans consistance mais qui fonctionnent comme une langue de bois que l'on peut faire tourner dans le vide ; il parle de « grand dehors » par opposition aux « petits moi ». Il appelle de ses voeux des choses comme une « écriture-monde », une « écriture du réel ».

De même qu'une candidate à une élection de 2007 assommait l'intelligence des Français en leur lançant des slogans du type : « La France présidente », de même, le Bris cherche à les endormir avec des bricolages marketing, comme « désir de liberté », « désir de monde ». Cela vous a des airs de « Désir d'avenir », de « Bouge la France », ou de n'importe quelle trouvaille d'un communiquant quelconque. Courant littéraire, émission de télévision, parti politique, tous usent du même ramage, aujourd'hui.

Le Bris n'est pas un solitaire. Il aime regrouper les gens, et franchement, pourquoi pas ? Cela me paraît plutôt sympathique, comme personnalité. Il a alors appelé à la rescousse une grosse dizaine d'écrivains pour participer à ce livre manifeste. Ils se sont dit « pourquoi pas ? » le Bris écrit que ce qui les unit, c'est « la conviction que toute littérature vivante se doit d'être peu ou prou voyageuse, aventureuse, ouverte sur le monde. »

A-t-on déjà vu une littérature fermée sur le monde ? Si oui, alors la définition que l'on se fait du mot « monde » doit être singulièrement ténue. Bref, tout cela, c'est bel et bien n'importe quoi, ce serait à jeter aux cabinets, sauf qu'on ne le peut pas.

Car à côté de l'écriture, il y a la société. Et Michel le Bris est un as de la société. Il sait regrouper les gens, il sait diriger, il sait créer des structures et il sait comment en faire parler. C'est ainsi que son festival « Etonnants voyageurs » s'est imposé comme un des plus vivant de France. J'y suis allé une fois, et je peux témoigner que c'est un événement formidable.

Vous connaissez l'âme humaine aussi bien que moi, vous savez ce qui suit : personne ne peut se permettre de dire à Michel le Bris que ce qu'il écrit est atroce, qu'il raconte des billevesées. C'est la tragédie des chefs de clan, des patronnes de salons ; ils sont tellement utiles qu'on n'ose rien leur dire. Imaginez qu'il soit fâché contre vous, ce serait déplorable, alors que si c'est votre allié il peut vous aider : avec son entregent, sa générosité, son pouvoir médiatique, il pourrait vous aider très facilement à sortir d'une mauvaise passe. Et vous vous l'alièneriez pour si peu ? Au fond, qu'est-ce que cela vous fait, qu'il publie ses textes ici et là, quel mal cela fait-il ?

Et puis il y a la force aveugle des médias. Des expressions comme « désir de monde », « littérature voyageuse », ça parle aux médias, c'est même calibré pour eux. Aucune pensée derrière ces mots, aucune définition, rien qui retienne ou qui freine l'intense souffle de la parole médiatique qui s'auto-produit et s'auto-évalue selon les effets produits, jamais selon la pertinence interne des discours.
Et moi, qui cherche à étudier la littérature du voyage, je suis dans l'obligation de m'appuyer ce type de prose. La prose du vide, de la formule qui fait mouche ou pas, la prose du ressentiment. Une prose qui galvaude terriblement le mot « voyage » et le mot « littérature ».
Lien : https://gthouroude.com/2008/..
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