AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Michel69004


« J'ai décidé de ne plus rien décider, d'assumer le masque de l'eau, de finir ma vie déguisé en rivière, en tourbillon, de rejoindre à la nuit le flot ample et doux, d'absorber le ciel, d'avaler la chaleur et le froid, la Lune et les étoiles, de m'avaler moi-même en un flot incessant. »

L'incipit de la Femme Paradis claque bien. On est déjà au coeur du sujet et il le faut bien, 180 pages c'est bien court pour dire le retour total à l'état de Nature.

Merci à Chrystèle, défricheuse infatigable et lectrice hors-pair, sans laquelle je n'aurai jamais. eu l'idée de ce livre. Ecrire après elle est toujours une gageure mais, une fois n'est pas coutume, ma lecture est un peu différente. Je tente:

Les sources d'inspiration de Pierre Chavagné sont évidentes: Thoreau pour le fond, Jim Harrison pour le souffle, Peter Heller pour le Nature Writing, Sandrine Collette pour le Manuel de Survie en Milieu Hostile (et Cormac McCarthy of course) !
Pour le résumé de l'action, la lecture du très beau billet de @HordreDuContrevent ( ma chère Chrystèle) est incontournable.

Retrouvons cette femme aguerrie (pas Chrystèle, la Femme Paradis), à la fois proie et prédatrice, au fil des saisons, dans sa belle forêt. Elle règne sans partage sur un petit royaume où l'intrus, quelqu'il soit, ne fera pas long feu. Depuis 6 ans, elle a fuit une civilisation à bout de souffle où des guerres civiles font ravages et où l'homme est redevenu un loup pour l'homme. Et de loups il va en être question. Elle sécurise son royaume, s'impose une discipline de fer, pratique l'auto-punition et la méditation.
Le récit de son ensauvagement est particulièrement réussi : elle traque, piège, torréfie des glands, mange des herbes à foison, bricole, construit et s'arme. Elle pratique une auto-médecine convaincante: la naturopathie c'est son truc. Son domicile troglodyte est un condensé de savoir-faire pour se protéger, s'alimenter, dormir et surveiller.
Bien sûr, on n'en restera pas là. Un coup de feu déchire un ciel serein, des cauchemars post-traumatiques la harcèlent, il va falloir tuer des gens et des loups.
La lecture de Belle du Seigneur causera sa perte : la lecture est l'ennemi de la chasseresse solitaire.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce récit haletant et glacial, formidable d'écriture précise, pointue, acérée. La narration offre quelques jolies pages de prose poétique:
« En forêt, chaque jour est une saison, un enseignement de lenteur. On apprend mieux quand on regarde survenir les choses, l'inutile est une nécessité. »
"Le vent est excitant, plus que l'amour. Il faut s'y abandonner et le laisser chanter, lui laisser emporter les mues des vies passées, devenir fou et vivre le présent consciencieusement. Seuls Dieu et le vent touchent monde dans tous les recoins. Alors chaque matin, accepter indifféremment ses caresses brulantes ou glacées sur la peau nue, accepter d'être au monde..."

Mais je ne l'ai pas trouvée si féministe que ça, mélange de Kill Bill et de Reine des neiges, elle se minéralise/végétalise au fil des pages, se vide de tout affect, de toute humanité.


Ce très beau livre est avant tout une réflexion saisissante sur l'incompatibilité des états de Nature et de Culture. Lire et plus encore écrire ouvre la voie de toutes les apocalypses. Dieu et l'Amour sont morts.
Nous sommes perdus les amis. Définivement.
Commenter  J’apprécie          3134



Ont apprécié cette critique (30)voir plus




{* *}