Quand l'un d'entre nous parvenait à dire ce qu'il voulait manger, la majorité de la tablée répétait en chœur : "Moi-aus-si !"C'était une façon de s'engouffrer dans la brèche, de ne pas avoir à formuler de commande. En conséquence, tout le monde mangeait la même chose, non par choix mais par nécessité.
La syllabe reste coincée dans la gorge, le larynx devient hyper tendu. Vient ensuite l'expression physique du bégaiement, appelée "syncinésie". Le blocage persistant provoque une forte tension du visage: la bouche se tord, le regard s'enfuit, les yeux s’écarquillent, la tête s'agite en tout sens, comme pour chercher de l'oxygène. (...) Dans ces moments-là, le bègue est totalement incapable de se contrôler.
Je dors bègue, je mange bègue, je baise bègue, je pense bègue, je souffre bègue.Mais je ris bègue! Et je les emmerde tous.
Le bégaiement. Handicap connu, dont on ne mesure pas la puissance dévastatrice. Seuls ceux qui en sont atteints peuvent comprendre, car tous ont pensé un jour ou l'autre que leur seule issue était de disparaître.