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Critique de BENE2312


« De la France » est la réédition -peut-être dispensable- par l'Herne, d'un livre de jeunesse de Cioran. Ce court essai a été écrit, en roumain, en 1941, alors que Cioran occupait (en fait n'occupait guère, préférant la fréquentation assidue des cafés) un vague poste diplomatique à l'ambassade de Roumanie auprès du gouvernement de Vichy.
La thèse centrale de l'ouvrage tient en une ligne : la France qui avait été un immense pays au XVIIIème siècle, éblouissant le monde par sa puissance et sa culture raffinée, est à présent une nation décadente ayant renoncé à toute grandeur au profit des petits égoïsmes individuels.

On le voit, tout cela n'est ni d'une perspicacité ni d'une originalité remarquables. Cioran, bien sûr, ne connaît alors qu'une seule France : celle défaite sans gloire en 1940, celle qu'il observe à Paris pendant l'occupation, celle de Pétain et Laval. Il ignore ou veut ignorer qu'il y a une autre France, en exil ou souterraine, qui tranche heureusement avec la médiocrité ambiante qu'il s'emploie à décrire. Passons.

Il faut cependant reconnaître que cet opuscule, bien qu'il ne nous épargne guère les clichés, est souvent écrit avec un esprit et un sens de la formule qui caractérisent déjà l'auteur. Au-delà des aphorismes amusants, dont le texte abonde, on peut même trouver, ça et là, quelques jugements qui n'ont rien perdu de leur pertinence et qui entrent étrangement en résonance avec notre époque.

A titre d'illustration : (à propos de l'Allemagne) « Un peuple de bon goût ne peut pas aimer le sublime, qui n'est que la préférence du mauvais goût porté au monumental » ; (à propos de la France) «De l'individualisme et  du culte de la liberté pour lesquels, autrefois, elle avait versé son sang, elle n'a retenu, dans sa forme crépusculaire, que l'argent et le plaisir » ou encore « Quand on ne croit à rien, les sens deviennent religion. Et l'estomac finalité » ; « Dans le monde de l'esprit, les vérités platement exprimées ne persistent pas, alors que les erreurs et les paradoxes enveloppés de charme et de doute s'installent dans la quasi-éternité des valeurs » ; « Une fois l'individu éveillé, la nation perd de sa substance, et lorsque tous s'éveillent, elle se décompose » ;  ; « Le monde slave s'élève, menaçant pour l'Europe en raison de son excès d'âme. La Russie en a trop. La France trop peu ». Et pour conclure, cette interrogation « L'Europe trouvera-t-elle une formule pour concilier la profonde débauche du Slave ou la dépravation théorique du Germain et la calligraphie intellectuelle de la France ? ». La question reste posée : « l'Europe de l'Atlantique à l'Oural », ça ne paraît pas gagné.

Au total, un petit ouvrage, certes souvent brillant, mais manquant singulièrement de profondeur. Un exercice de fascination/répulsion pour le pays qui accueille Cioran mais que celui-ci ne connaît encore que bien superficiellement.
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