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Critique de 5Arabella


Ecrit entre 1908 et 1910, L'Otage est publié dès 1911, d'abord dans la NRF, puis la même année en volume. La pièce sera créée sur scène dès 1914 par Lugné-Poe ; à cette occasion Claudel proposera une fin alternative, mais il ne réécrira pas l'oeuvre comme il l'a fait pour la plupart de ses autres pièces. La pièce est la première d'une trilogie, La trilogie des Coûfontaine, qui comprend également le pain dur et le père humilié. Les trois pièces ne sont toutefois pas « la réalisation d'un plan préétabli » mais « sont nés l'un de l'autre, l'un après l'autre […] comme sous l'appel d'une nécessité à la fois fatidique et musicale ». Dès 1920 Claudel envisageait un quatrième drame qui aurait clôt le cycle, mais cet opus n'a jamais été écrit finalement.

L'otage a été conçu comme le récit des origines de la France contemporaine, née de la Révolution, et de l'homme à qui elle a donnée naissance, d'où l'opposition entre les Coûfontaines et Turelure, l'Ancien Régime et le nouvel ordre qui naît sur ses décombres. le drame va continuer dans les épisodes suivants de la trilogie, de génération en génération, pendant que se déroule l'Histoire. Claudel veut opposer une vue à court terme, à hauteur d'une vie d'homme, de catastrophes individuelles, à une vision plus large, qui derrière des destins individuels, suit un schéma, un plan plus large. Ce qui rapproche son cycle des tragédies grecques qu'il aimait et qu'il a traduites : comme dans l'Orestie d'Eschyle, à qui de nombreuses composantes des drames de Claudel font écho, les desseins de la Moïra ne se révèlent que dans le temps, dans la durée. Mais chez Claudel le destin devient la Providence du Dieu chrétien, ce qui change la tonalité d'ensemble.

Au premier acte, nous sommes en France, à la fin du Premier Empire. Sygne de Coûfontaine, une jeune femme noble, dont les parents ont été guillotinés pendant la Révolution, et qui a patiemment reconstitué la fortune familiale accueille dans sa propriété son cousin proscrit, Georges, à qui elle destine tous ses biens. Mais Georges a vu disparaître femme et enfants, il est très amer. Sygne et lui évoquent le passé, puis prennent l'engagement de se marier. Mais Georges est venu dans la vieille maison pour cacher un hôte encombrant : le pape qu'il a fait évader de l'emprisonnement impérial.

Au deuxième acte, le baron Turelure, fils d'une servante du domaine de Coûfontaine, devenu le préfet sous l'empire, vient demander à Sygne de l'épouser. Il la menace de faire saisir Georges et le pape. le curé, M. Badilon, arrivera à la convaincre de consentir à cette union.

Au troisième acte, nous sommes en 1814, Paris est assiégé. Turelure, commandant des forces armées, est à même de donner le pouvoir au roi Louis XVIII. Il s'engage à le faire, à condition que Georges signe un renoncement à tous ses droits, y compris à son nom, en faveur du fils qu'il a eu avec Sygne. Cette dernière doit faire accepter ces conditions à son cousin, qui vient comme émissaire royal. Georges fait de violents reproches à Sygne, mais accepte de parapher les papiers. Il tente de donner la mort à Turelure, mais blesse à mort Sygne, pendant que lui même est assassiné par Turelure. Sygne, avant de mourir, refuse de revoir son fils et de pardonner à Turelure, risquant la damnation.

Malgré le contexte historique, un aspect très romanesque aussi (enlèvement du pape, siège de Paris etc) la pièce est en réalité très simple dans son déroulé. Elle se compose de violents affrontements entre des personnages antagonistes, qui symbolisent des forces, des attitudes, des positions idéologiques opposées à l'extrême. C'est donc très dramatique, très intense, Claudel peint des instants d'une grande violence, où ses personnages sont saisis dans des moments paroxystiques qui les résument et en donnent la quintessence. Comme toujours chez Claudel, les personnages sont plus des symboles, des métaphores que des vraies personnes, et leurs positionnements expriment bien plus qu'un sentiment ou ressenti individuel. Même si, Georges dans son amertume et orgueil, Sygne dans sa force et son refus de plier, Turelure dans sa roublardise, son opportunisme et son cynisme, sont un peu plus de chair et de sang que d'autres figures claudéliennes.

Encore une très belle réussite de Claudel.
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