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Critique de FlorinNogueira


Il y a quelques jours, j'ai lu Contestation sociale à bas bruit en Russie, écrit par Karine Clément et publié aux éditions du Croquant. de nombreux chercheurs et étudiants russes ont collaboré avec l'autrice pour la collecte des données nécessaires à l'élaboration de cet ouvrage fouillé, que j'ai trouvé très intéressant.

Karine Clément, qui a vécu en Russie, propose de démontrer la richesse de la pensée critique des classes populaires, sur la base de 247 entretiens d'environ une heure. En mobilisant des imaginaires sociaux, les personnes issues de ces catégories nourrissent une réflexion "critique, pratique et ancrée dans les corps et le bon sens" pour contester l'État à bas bruit, dans un pays autoritaire.
Ces contestations sont donc de l'ordre de l'infrapolitique, car elles ne font pas forcément l'objet de mobilisations et sortent ainsi des cadres institutionnels. Il est aussi intéressant de noter que les personnes sont souvent plus intéressées par ce qui est matériel et concret (la vraie vie quoi), que par les discussions d'élites bourgeoises sur la manière de diriger un pays. Les principaux résultats des travaux menés à l'issue de l'enquête de terrain sont présentés dans ce livre, à travers un développement dont le coeur concerne la critique sociale ordinaire de bon sens, alimentée par un imaginaire populaire et héritage d'un marxisme vernaculaire. Ainsi, l'autrice propose d'appréhender la critique sociale en lien avec un nationalisme qui ne reproduirait pas toujours le discours nationaliste de l'État. Ce nationalisme "par en bas" nourrirait ainsi un esprit critique envers les dominants et le partage inégal des richesses.
C'est pour répondre à une commande institutionnelle que le nationalisme a été étudié dans cet ouvrage, ce qui a permis d'avoir des fonds pour les recherches effectuées. Celles-ci suivent aussi la conviction que le nationalisme en Russie peut dériver à l'impérialisme et à un renforcement de l'autoritarisme. Pour l'autrice, les recherches auront en grande partie confirmé et renforcé cette intuition.

Voilà une grossière tentative de résumer l'objet de ces travaux, que je trouve intéressants à plus d'un titre. L'autrice le dit et je le pense aussi : les élus et les intellectuels gagneraient certainement à s'inspirer de la critique ordinaire de "bon sens" pour développer leurs programmes et leurs théories de l'émancipation. La pensée critique pouvant bel et bien constituer une voie vers cette dernière qui nous est chère. En cela et parce que la critique sociale ordinaire est encore peu étudiée, je comprends véritablement le potentiel de ces travaux pour la recherche.

J'ai grandement apprécié la clarté et l'accessibilité de cet ouvrage. L'introduction permet de connaître et comprendre les notions mobilisées dans le développement, tout en faisant également état des discussions scientifiques autour de celles-ci. Dans tout cela, l'autrice prend le temps d'expliquer et de justifier à quelles définitions de ces notions elle s'est rattachée pour ces travaux (puisqu'elles évoluent avec la recherche et ses différents courants), ce qui permet aussi d'en apprendre un peu sur ce champ d'études et sur les différentes écoles de pensées qui l'investissent. L'ouvrage comporte également en annexe une notice méthodologique pour comprendre la discussion scientifique du bien-fondé des conclusions de ces travaux, mais également un tableau de synthèse des principales définitions utilisées dans l'ouvrage.

Il a également été très intéressant pour moi d'avoir cette vue d'ensemble des différents nationalismes en Russie, ainsi que des différentes critiques sociales ordinaires et de leurs conditions d'émergence. Ainsi, l'ouvrage fait état de trois grands types de nationalismes et de leurs imaginaires sociaux :
-Le nationalisme d'État, qui porte dans ses discours un désir d'unité nationale et d'appartenance à une "grande communauté"
-Un nationalisme élitiste, porteur d'une critique sociale ordinaire intellectualiste et ayant une vision élitiste de la nation
- le nationalisme populaire, dont émane la critique sociale ordinaire de bon sens, qui bénéficie d'ailleurs d'une élaboration théorique.

Avec cet ouvrage, j'ai beaucoup appris d'un pays que je connaissais surtout par la littérature des XIXe et XXe siècles. Si le texte gagne est plutôt court et synthétique, ce qui lui permet de gagner en accessibilité et que je valorise beaucoup pour la recherche, chaque sujet évoqué a de quoi remplir des volumes entiers. le travail de synthèse n'a pas dû être simple ! Cependant, avec toutes les recherches qui ont dû être effectuées pour que ce livre voie le jour, j'aurais peut-être aimé avoir un peu plus de détails, notamment concernant les entretiens menés. Pour satisfaire ma curiosité, il m'aurait bien plu d'en retrouver davantage dans le texte. C'est que l'enquête de terrain, effectuée entre 2016 et 2018 a nécessité beaucoup d'entretiens !
Fort heureusement, la bibliographie reste bien fournie, ce qui pour moi est de mise : à la fois pour la rigueur académique, mais aussi pour creuser les sujets évoqués dans ce livre, qui sera pour moi une porte d'entrée sur de nouveaux terrains d'études.
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