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Critique de PaulMartin


Ouvrage de vulgarisation assez bas de gamme pour un public à l'esprit critique limité, prêt à gober tous les poncifs habituels : les catholiques sont des fanatiques intolérants, les musulmans sont ouverts aux autres cultures ; les cathos ont appauvri le pays, les musulmans l'ont enrichi… :
« Les premiers contacts intellectuels entre le monde musulman et l'Europe se réduisent à peu de choses et s'arrêtent à la fin du Xe siècle » à cause d'un « manque d'intérêt des Européens envers la science et la philosophie arabes » (p.270), comme si celles-ci n'avaient rien de grec. Toujours les mêmes fautifs ; les gentils Arabes veulent transmettre et les abrutis d'Occidentaux ne veulent rien savoir.

L'auteur accumule les incohérences :
Il vante le syncrétisme artistique et « dès la période du califat une civilisation hispano-arabe » (p.231), « les innombrables unions mixtes des civilisations chrétienne et musulmane » (p.241) tout affirmant que dans les populations qui « jamais n'ont cessé de se combattre » « la fusion de ces éléments composites ne se fera jamais » (p.95) ;
évoque « l'esprit de cohabitation ethnique qui avait été une des forces de l'Etat musulman d'Espagne » (p.169) tout en affirmant que ce même Etat est « en proie aux divisions, aux querelles ethniques, à la guerre civile quasi perpétuelle » (p.128).
« L'Hispano-musulman est un amalgame d'Arabe et d'Ibère, de Wisigoth et de Berbère, de Persan et de Slave, une conjonction heureuse de sémite et d'aryen. » (p.241) Donc, en gros, tout le monde se mélange tout en refusant de se mélanger…
Dénonce le communautarisme et la guerre civile généralisés, « les mulâtres sont méprisés », mais vante un « exemple de la fusion de tant d'éléments différents en une population d'une relative homogénéité » formant « une civilisation à nulle autre pareil. » (p.239) ;
fait l'apologie du multiculturalisme tout en donnant comme cause de l'effondrement du califat de Cordoue en 1031 « l'introduction d'éléments ethniques étrangers de plus en plus nombreux au fil du temps et incapables de s'intégrer dans la masse de la population. » (p.183) ;
déplore la « guerre permanente » et l'anarchie sous les taïfas (1002-1086) tout en la décrivant comme « une des époques les plus brillantes de la civilisation arabo-musulmane. » (p.189)
« L'époque agitée des taïfas suivie des deux siècles des Almoravides et des Almohades est celle de l'Espagne musulmane qui produit ses plus grands penseurs. » (p.256) Ce serait donc selon lui à l'époque où on n'a pas le droit de réfléchir qu'on serait capable de penser le mieux.

Il fait aussi quelques erreurs :
p.45, l'émirat d'Abd al-Rahman Ier est donné pour 751 alors qu'il date de 756.
p.198, le malékisme est qualifié de rite de l'islam « le plus rigide » alors que le hanbalisme l'est encore plus.
p.340 al Mutamid ibn Abbad est donné comme « souverain abbasside de Séville » (1068-1091), alors que c'est un Abbadide. Aucun Abbasside n'a jamais régné en al-Andalus.

Le livre est au passage l'occasion de prendre conscience des effets dévastateurs des brassages culturels. Ainsi sous Abd al-Rahman II, émir de Cordoue (822-852), les jeunes chrétiens ignorent le latin et l'archevêque de Séville doit faire traduire la Bible en arabe pour qu'ils puissent la lire (!) (p.72)

Après une conquête au fil de l'épée et la soumission implacable des populations, la paix survient enfin sous le califat de Cordoue parce qu'il est tenu « avec une extrême vigueur » par Abd al Rahman III (929-961), « les rouages de l'Etat sont sous son autorité absolue » (p.126).
Mais à partir de la prise de pouvoir par Al-Mansur (978-1002) qui démolit l'Etat et fait appel à une immigration berbère massive « cause de tous les maux » (p.169), c'est à nouveau la violence généralisée, puis la guerre civile entre les 26 taïfas qui permet une progression de la Reconquista (Tolède 1085) à laquelle répond l'arrivée des Almoravides (1086) puis des Almohades (1147) et l'instauration d'un malékisme intolérant où « toute autre forme de pensée est interdite » (p.198)…
Soucieux de souligner les bienfaits de la présence musulmane, l'auteur passe sous silence l'interdiction de l'étude de la philosophie par ces derniers en 1148 et le fait que juifs et chrétiens sont bannis en 1149.

Finalement, la seule parenthèse florissante sur les 781 ans de présence musulmane correspond au règne de Al-Hakam II, calife de Cordoue épris d'art et de culture, de 961 à 976, soit 2% de l'ensemble de la période, au point que la péninsule apparaît surtout comme un effroyable panier de crabes propre à faire renoncer à toute tentation de multiculturalisme. Et c'est ce qu'on ose nous présenter aujourd'hui comme modèle de tolérance pour justifier le volume de l'immigration.

Dans son bilan positif de l'apport musulman, l'auteur se garde aussi d'évoquer le coût de la violence provoquée par l'invasion de l'Espagne, toutes ces guerres et ces morts du fait de la seule présence musulmane, du seul fait qu'une ethnie s'impose à d'autres. Les réalisations architecturales des Omeyyades et les apports culturels empruntés aux Abbassides valaient-ils vraiment toutes ces souffrances ?

L'auteur parle bien sûr de la transmission des textes de l'Antiquité par les Arabes. Mais cette transmission s'est faite par les Européens à l'occasion de la Reconquista, en particulier après la prise de Tolède en 1085. En réalité, les Arabes ont peu transmis, on est surtout allé leur prendre.

Immanquablement, l'auteur déplore l'expulsion en 1492 des « musulmans très travailleurs » comme si l'arrêt des guerres incessantes causées par l'invasion de 711 n'était pas aussi l'arrêt de monstrueux gaspillages d'énergies et de ressources et comme si les autochtones n'étaient pas capables de faire tourner l'économie. Il reconnaît d'ailleurs lui-même que la Reconquista a permis l'essor de l'industrie lainière (p.377). Mais la paix sociale retrouvée et les énormes bénéfices qu'elle induit à tous les niveaux le laissent curieusement indifférent. Il pourrait pourtant se réjouir que ces talents soient allés enrichir le Maghreb, mais non, il semble préférer l'al-Andalus mis à feu et à sang pendant huit siècles.
Il voit finalement dans les expulsions de populations la cause du retard économique de l'Espagne à la fin du XVIe siècle alors qu'il est surtout dû à l'afflux de métaux précieux du Nouveau Monde qui lui a permis d'acheter à toute l'Europe au lieu de produire en développant sa propre industrie.

Pour y voir un peu clair sur le sujet il convient d'écouter les vrais spécialistes – ce que n'est pas André Clot. Gabriel Martinez-Gros et Nicolas Weill-Parot insistent sur le fait qu'al-Andalus est au contraire une des sociétés musulmanes les moins tolérantes qui soient. Des quatre écoles juridiques sunnites, seule l'école malékite – une des plus obscurantistes – y est autorisée.
La fameuse « tolérance » d'al-Andalus dont on nous rebat les oreilles s'illustre en réalité par le fait que les autochtones ne sont simplement pas exécutés à condition de se soumettre au statut de dhimmi. On les « tolère » en vie pour pouvoir en tirer des taxes. La soumission implacable et violente est la condition du « vivre-ensemble ». « En cas de résistance toute la population était réduite en esclavage » (p.27), « les peines vont de la prison à la crucifixion et à la décollation. » (p.221)
Chrétiens et juifs doivent payer un impôt pour pratiquer leur religion, ils n'ont pas le droit de monter à cheval, leurs habitations doivent être plus basses que celles des musulmans… ce qui n'empêche pas l'auteur d'affirmer qu'ils « sont organisés en communautés plus pacifiques que partout ailleurs dans le monde musulman, chacun étant satisfait de son sort et ne désirant pas en changer. » (p.72)
Nous prend-il pour des enfants ?
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