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Critique de vibrelivre


J.M.Coetzee, Foe, roman, traduit de l'anglais par Sophie Mayoux


La robinsonnade, ou la réflexion sur la robinsonnade, de J.M.Coetzee a pour titre le nom de Foe, le créateur sans particule de Robinson.
I. Une femme anglaise, Susan Barton, partie en vain au Brésil à la recherche de sa fille qui lui avait été enlevée et repartie dans son pays via Lisbonne, est jetée dans une barque par des mutins portugais avec pour compagnie le cadavre du capitaine de qui elle partageait le lit. Elle aborde sur une île: je me laissai glisser par-dessus bord, et c'est à peine si je fis une éclaboussure" _occupée par deux habitants, un vieil homme blanc Cruso le maître, "le vrai roi de son île" et son jeune serviteur noir à la langue coupée, Vendredi. L'île est inhospitalière: elle n'offre que des terrasses en pierre construites, dans quel but, par Cruso et Vendredi, et qui ressemblent à des tombes - et inféconde: rien n'y pousse. Et le désir y est mort: ni Cruso ni Vendredi n'ont le désir de s'en échapper, Vendredi n'a pas le désir d'échapper à son maître, Cruso celui de consigner son histoire, peut-être parce qu'il ne se sent pas un naufragé. Cruso a un fugace désir pour Suzan, Vendredi reste indifférent. Suzan se dit que si Cruso et elle s'étaient unis, alors la vie serait née. Elle écrira l'histoire.
Susan passe un an d'ennui et d'attente sur l'île. Un bateau les secourt. Cruso est malade, Susan lui fait l'amour: "Je nage en toi, mon Cruso"; il meurt pendant le voyage du retour. Le capitaine du bateau dit à Susan d'écrire son histoire qui fera sensation; en effet, jamais de femme auparavant ne s'était retrouvée sur une île déserte. Susan a peur que son histoire ne paraisse ennuyeuse, car elle ne possède pas l'art de conter, et Cruso est un personnage décevant.
II. Arrivée en Angleterre, Susan trouve un auteur, Foe, pour mettre en forme son histoire, et lui adresse des lettres. Un portrait de l'écrivain est brossé, dans l'imagination de Susan, quelqu'un qui travaille sans relâche, pas de dimanche pour lui, dans la solitude, se documente, doté de la capacité à voir des vagues au lieu de prés, à donner de la substance à un récit, vie aux personnages. Car l'enjeu est énorme: respecter la vérité et plaire aux lecteurs.
Une de ses lettres lui étant revenue, elle se rend chez l'écrivain dont la maison est occupée par des huissiers. Elle décide d'y habiter avec Vendredi, qui sombre dans les langueurs, et attend que l'écrivain écrive son livre. Elle attend, comme elle attendait à Bahia, puis sur l'île. Qu'attend-elle? Une jeune femme observe la maison qui dit être sa fille. Sans doute une folle. A qui elle dira qu'elle n'a pas de mère, qu'elle "est née de [son|père".
Elle réfléchit à l'île. Elle aimait bien la fraîcheur du sable sous ses pieds, le cri des oiseaux. Elle se met à la place du lecteur. Qu'est-ce qu'il aimerait savoir? De fait, l'île est pleine de mystères. Aussi Cruso craignait-il le sommeil et l'oisiveté. C'est pourquoi il défrichait l'île et avait inventé le danger des Cannibales, pour entretenir la vigilance. Pourquoi Cruso ne s'était-il pas muni d'un mousquet? Qui a coupé la langue de Vendredi? Pourquoi Cruso et Vendredi ne l'ont-ils pas désirée? Pourquoi Vendredi, à califourchon sur un tronc, a-t-il éparpillé des pétales sur la mer? Pourquoi n'avait-il pas le désir d'une vie nouvelle? "Sans désir comment est-il possible d'élaborer une histoire?"
Si l'écriture du livre est lente, Susan agit beaucoup, elle s'inquiète pour Foe, donne sa liberté à Vendredi et veut le rendre à l'Afrique, mais craint qu'il ne soit de nouveau vendu, lui apprend sans succès à comprendre des mots et à écrire. Elle croit converser avec lui en jouant de la flûte en même temps que lui.
III. Elle retrouve Foe, au milieu de certains de ses personnages, se demande-t-on, dont celle qui est supposée être sa fille. Est-elle alors un personnage, elle aussi? Elle doute. L'écrivain veut faire de l'île un épisode seulement de son livre. Elle refuse. Elle n'est pas un personnage dont l'auteur écrit l'histoire à sa fantaisie. Elle veut être le père de son histoire. Au cours de la nuit où elle chevauche Foe, elle comprend que la Muse n'est pas la déesse qui fait engendrer des histoires aux poètes, mais qu'elle est le fécondateur. La mère de l'histoire, c'est l'écrivain. L'écrivain pourra la faire exister, éternellement, en racontant son histoire. Foe se demande si nous, les hommes, "serions meilleurs ou pires si nous n'avions plus l'occasion de descendre nuitamment au fond de nous-mêmes et d'y rencontrer ce que nous y rencontrons".
De ses réflexions antérieures, Susan a tiré que "si l'histoire semble stupide, c'est qu'elle s'obstine à ne pas parler." Elle en revient à la perte de la langue de Vendredi, ou d'une autre perte plus hideuse. Il faut faire parler le silence de Vendredi.
Susan "tire le rideau sur lui" Vendredi pour séparer l'alcôve de l'endroit où Foe et elle dorment ensemble.
IV. Un narrateur à la première personne, Coetzee?, pénètre dans la chambre De Foe. Il aperçoit Vendredi avec une cicatrice au cou, preuve qu'il a porté le collier, et lit les pages écrites par Foe, qui met en scène un narrateur à la première personne. C'est le début de l'histoire de Susan. Mais le narrateur plonge dans l'eau, parsemée des pétales lancés par Vendredi, et voit Susan morte. Il va vers Vendredi, parce que "dès la première traction, le rideau de l'alcôve se déchire", et l'écoute. De sa bouche sort un flot lent qui se répand jusqu'aux extrémités de la terre.

Est-ce le rêve de Foe, de Susan, qui veulent tirer des profondeurs de Vendredi une vérité, ou une recherche des origines, ou quelque chose qui ébranle l'imaginaire, le mystère qui réside au coeur de l'histoire, qui siérait à celle-ci? La seule vérité inspire le respect, mais l'histoire se vêt d'art, de rêve et d'imaginaire: "nous ne ferons jamais fortune ... en étant simplement ce que nous sommes". L'écrivain enrichit la réalité, il accueille les histoires des autres, et les renvoie dans le monde mieux habillées."Le conteur ... doit deviner quels épisodes de son histoire recèlent des promesses de richesse et démêler leur sens caché, puis les tresser ensemble comme on tresse une corde." Cet art de la divination, ne l'a pas qui veut.
Coetzee s'empare d'un mythe fameux, à partir duquel il réfléchit sur la condition du colonisateur et du colonisé, sur le statut de la femme, sur la notion de personnages qui choisissent "le seul être destiné à raconter [leur| véritable histoire", "qui affirme[nt leur| liberté en racontant [leur| propre histoire conformément à [leur| propre désir", sur ce qui fait un écrivain.
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