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Critique de Prailie


Dans son remarquable "Babbitt", Sinclair Lewis faisait déjà le portrait, touche après touche, de l'Américain moyen des années vingt: on y découvrait un brave père de famille ni pire ni meilleur qu'un autre, émerveillé par les objets "modernes", par le confort de vie que la technologie et la nouvelle prospérité américaines mettaient à sa disposition... Dans la droite ligne de ce grand classique Evan Shelby Connell dresse en diptyque le portrait d'un couple d'Américains moyens dans les années trente et quarante. Un peu moins de fascination pour les objets manufacturés, et (me semble-t-il) davantage de problèmes de conscience. Car le monde change. le rigide Mr. Bridge, corseté de certitudes, le comprend de plus en plus difficilement.
Moins repu de satisfactions matérielles que dans la génération précédente, il se sent souvent dépassé, taraudé par une inquiétude existentielle qui ne dit pas son nom. Sur l'éducation à donner à ses enfants qui grandissent et qui s'éloignent de lui, sur le rapport aux Juifs, aux nécessiteux, ou aux Noirs, il fait d'ailleurs bien souvent le contraire de ce qu'il professe!
Sur le plan narratif Connell adopte une technique pointilliste, avec de très courts chapitres en apparence décousus. Il procède volontiers par des effets "en creux", en décrivant une situation de manière décalée, sans la nommer explicitement, ou bien en omettant des détails essentiels, toutefois il en suggère la nature à travers les réactions de son personnage éponyme. Par exemple quand Bridge surprend son fils en train de lire ce que l'on devine être un magazine de pin-up très dénudées.... Ou quand la domestique Harriett, saoule comme une grive, a trop arrosé le jardin et que Bridge, lui prenant des doigts son 3ème ou 4 ème daïquiri, propose de le boire à sa place... A sa manière détournée , presque allusive, Connell réussit ce faisant de délicats effets comiques (dans la scène du jardin détrempé, j'ai adoré le léger contrepoint humoristique que constitue le chien des voisins, au début indifférent à l'arrosage forcené d'Harriett, puis de plus en plus intrigué....).
Néanmoins, au fil des chapitres, le propos se fait plus incisif. Car peu à peu la problématique antisémite se fait plus présente, le péril nazi se précise...
Ainsi, sans jamais prendre parti, sans jamais nous donner explicitement son point de vue, E.S. Connell parvient à rendre éclatantes les limitations de son personnage: sa bonne volonté, oui,certes. Mais aussi ses faiblesses et ses lâchetés, ses préjugés de race, ou de classe; sa fermeture d'esprit. Au point qu'on se demande, en refermant le livre, si Connell n'a pas souhaité faire, en pointillé, le portrait d'un monstre ordinaire...
Tout cela compose, au total, un livre vraiment remarquable!
À ne recommander cependant qu'aux vrais amateurs de littérature et aux esprits curieux. Aux lecteurs et lectrices "pointus", de préférence férus de littérature américaine.

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