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Critique de Ileauxtresors


Chef d’œuvre ! CHEF D'OEUVRE faudrait-il écrire. Read my lips.

Comment ai-je fait pour passer à côté de ce monumental bijou pendant toutes ces années ? Heureusement, il y a Babelio et Kirzy qui m'a incitée à me précipiter sur le prince des marées ¬– mille mercis à elle ! Les mots de Pat Conroy, découverts dans leur version originale grâce à la lecture merveilleuse de Frank Muller, ont illuminé mes semaines de confinement.

Dès les premières lignes, j'ai été époustouflée par la plume lyrique de l'auteur.

L'intrigue est tout simplement géniale, dans son arc général comme dans les multiples ramifications que Conroy déploie magistralement. Tom Wingo, de Caroline du sud, est appelé à New-York où sa soeur jumelle, la célèbre poétesse Savannah, a fait une tentative de suicide. Pour aider sa psychanalyste à cerner ses troubles, Tom va assembler les morceaux de la mémoire familiale et raconter l'extraordinaire histoire de la lignée Wingo. Une histoire d'amour, de folie, de violence et de silences intrinsèquement mêlés, tissée sur plusieurs générations, de la deuxième guerre mondiale aux années 1980. Une fresque faite de mille scènes toutes plus romanesques les unes que les autres. Si bien contées qu'on a l'impression d'avoir été là. Kaléidoscope de séquences singulières, souvent intimes, mais qui entrent puissamment en résonance avec l'histoire des Etats-Unis. Les aller-retour entre le passé des Wingo et le présent de sa narration par Tom au Dr Lowenstein donnent du rythme et de la légèreté.

J'ai rarement vu la magie de la littérature à l'oeuvre comme ici. On ressent dans notre chair la violence de la domination de classe, de genre et de race. Pat Conroy évoque avec beaucoup de finesse les ressorts des violences familiales dans leur spectre entier, l'enchevêtrement de souffrance, d'amour et de honte qui fait qu'il est si difficile de s'en extirper. le regard de Tom, grand costaud tout en fragilités, sur sa famille m'a beaucoup touchée dans sa lucidité douloureuse, mais vierge de tout jugement et indissociable d'un humour irrésistible sous lequel perce une indéfectible tendresse. Ses liens fraternels avec Luke et Savannah sont merveilleux, on rêverait de pouvoir faire les 400 coups avec les enfants Wingo…

Les déterminismes sociaux sont un leitmotiv pour cette famille qui regimbe décidément à se laisser enfermer dans son destin de modestes pêcheurs de crevettes. Chacun des membres de la famille se démarque à sa manière et cherche sa propre voie d'émancipation, avec plus ou moins de succès. Leur subversivité provoque les situations les plus inattendues, parfois terribles, souvent réjouissantes.

Il faut insister là-dessus. Je ne sais pas comment il est possible de proposer, sur ces thématiques, un roman aussi captivant, divertissant, et même jubilatoire. Est-ce l'attrait de la beauté sauvage et époustouflante de la nature sudiste ? Est-ce l'épaisseur et l'originalité des personnages dont certains sont tellement attachants ? Est-ce l'excentricité grotesque des Wingo, qui n'hésitent pas à essayer une sélection de cercueils, adopter un tigre du Bengale, délivrer un marsouin d'un aquarium ou menacer de laisser tomber un Stradivarius de la terrasse d'un gratte-ciel new-yorkais ? Est-ce l'art du dialogue truffé de répliques cultes, que Conroy maîtrise à la perfection ? L'humour féroce avec lequel il rhabille les rednecks du Sud comme les intellos new-yorkais ?

On se demande parfois si on lit un roman ou un poème, face à la beauté des mots et aux images et émotions qui jaillissent.

Ne comptez pas sur moi pour vous révéler qui est le prince des marées, mais le prince de mes semaines de confinement est incontestablement Pat Conroy.
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