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Critique de karineln


« Chut, ça va aller. C'est la vie, c'est comme ça. Il y a toujours un loup quelque part. Et personne ne peut dribbler le destin. »
Le mot qui me vient spontanément en me souvenant de cette lecture : le cran. Car il en faut de l'audace, encore aujourd'hui, pour aller à l'encontre d'une maternité évangélique, de la suprématie de cet instinct et de la beauté auréolée de l'amour maternel. du courage pour énoncer de façon si directe, si « tranchée » (vous excuserez le clin d'oeil), si cru, le rejet d'une mère pour son bébé, la violence et la cruauté de ses répulsions.
Il faut d'abord s'accrocher pour s'adapter et s'habituer à la rapidité de la langue, l'enchaînement de phrases courtes, sans verbes parfois, de mots groupés, comme pour nous puncher des images en coups de poing, et ne pas nous laisser reprendre notre souffle. C'est hâché, scandé, la volonté semble bien de multiplier les segments, de ne surtout pas énoncer plusieurs idées dans une seule sentence : chaque action, pensée, qualificatif, complément, nuance se suffisent à eux-seuls. En s'enchaînant indépendamment, ils portent leur sens haut, augmentent une sensation de palpitant, profitent à l'ascension de la crainte, du danger croissant, du dérapage de plus en plus redouté. le style nous immerge dans l'esprit de la narratrice aux prises avec l'horreur ressentie, avec la panique générée et qui la déborde, la ronde incessante de ses réflexions affolées. Nous voici bien malgré nous, aussi en empathie, pris dans l'escalade de l'angoisse avec cette femme envahie par des sentiments et pulsions incontrôlés, aux bords de la déraison. La narration est astucieuse en nous happant auprès d'elle, en spectateurs muselés de sa détresse, de sa désespérante tentative de maîtrise, des réactions embarrassées et interdites des proches, et surtout de l'extrême vulnérabilité et solitude de ce nourrisson en proie facile du comportement risqué et délétère de sa maman. Certaines scènes donnent réellement froid dans le dos jusqu'à vouloir repousser l'image insupportable envoyée par les mots. « Il suffirait de le laisser glisser puis de l'immobiliser un instant sous l'eau pour qu'il se noie et que tout s'arrête. de noie à noir, il n'y a qu'une seule lettre. le diable ricane dans sa tête. Ses pensées l'effraient. Si quelqu'un savait… Elle ne répond plus de rien. Mieux vaut s'arrêter là. Elle récupère le petit, attrape sa serviette, l'y enveloppe, se penche pour retirer la bonde et c'est à ce moment que l'envie lui vient de jeter le bébé avec l'eau du bain. »
J'ai pu m'agacer par instants du style, lequel est certes osé, singulier et affranchi, mais imposé par la force. Je lui ai reconnu sa pertinence au fur et à mesure du déroulé narratif. le traitement du sujet, ce qui dans la fiction fonde l'émergence du point de rejet, m'est apparu trop rapidement comme s'il fallait justifier l'attitude désarmée et déstabilisante de cette maman, comme une ficelle un peu grosse et maladroitement introduite pour légitimer un choix fictionnel. Cette désagréable impression une fois dépassée, on ne quitte plus cette femme, sa fuite en avant face au dégoût éprouvé et de plus en plus mis en actes, sa reconquête d'un passé volé et dont l'inscription indélébile finit par s'incarner, s'afficher, s'imposer car le secret - quand bien même il s'origine dans une bonne intention - est inutile à étouffer sinon à asphyxier les sujets visés. On n'échappe jamais à son histoire ; la nier, la cacher ne fait que retarder et aggraver la radiation de la bombe à rebours. Les interrogations éclairées et lucides de cette femme pour son petit de couleur dans un monde blanc a plus que jamais résonné avec l'actualité du moment et j'ai trouvé très justes et sans clichés ses observations et inquiétudes légitimes sur le regard désapprobateur ou fuyant du dominant « naturel » sur l'autre différent. Des très jolis passages sur la filiation, la tendresse qui retrouve son chemin, la rencontre renouvelée, la présence solide d'un père, l'imperfection de chacun face aux dilemmes inéluctables de la vie jalonnent, balisent le roman et finissent de nous embarquer avec eux. « Pendant un instant elle ne voit plus le contraste de sa peau foncée sur ses seins blancs. C'est un équinoxe de douceur. La torpeur de ce moment gomme les couleurs. »

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