AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Stockard


Imaginez une seconde (Picture it, pour citer la riante Sophia Petrillo... je m'égare) : votre vieille Honda Magna de 1983 que vous avez remisée au garage depuis trop longtemps vous (re)fait de l'oeil depuis quelque temps et même si votre antique bécane n'a rien d'un chopper, vous vous décidez enfin à rejouer les scènes cultes d'Easy Rider quand survient le drame. le drame, que dis-je, la tragédie ! Votre petite Honda, vexée de la négligence à laquelle vous l'avez soumise depuis des mois, tient sa petite vengeance en refusant ne serait-ce que d'émettre une petite et sinistre pétarade, bref pas de bol, c'est la panne, et la grosse.
Du coup, pas le choix, il faut trouver un réparateur de motos qui s'occupe essentiellement des anciens modèles et c'est comme ça que vous atterrissez dans l'atelier de Matthew B. Crawford. Préparez-vous un bon thermos de café, installez-vous le plus confortablement possible entre le pont, les outils et les barils de solvants et écoutez ce philosophe-mécanicien vous faire un petit cours sur la gratification du travail manuel, trop souvent dénigré dans nos sociétés modernes où, si vous n'êtes pas débile léger, il y a peu de chance qu'on vous oriente vers ce genre de filières. Non, à la place vous allez vous faire tartir à la fac et pis c'est tout !

Et Matthew Crawford sait de quoi il parle, directeur d'un think tank du côté de Washington, il est ce qu'on appelle un intello, d'ailleurs, ça tombe bien, il exerce une profession intellectuelle où bien sûr il n'a pas à se salir les mains, il peut même envisager une petite french manucure sur l'heure du déjeuner, peu de chance qu'il rentre chez lui avec de la saleté sous les ongles. En plus, dédommage collatéral : les pépettes pleuvent et pas qu'un peu... Pas de quoi se plaindre, donc. Et bien si, Matthew l'a mauvaise, parce qu'il pense, il réfléchit et tout ce qu'il voit c'est que cette profession qu'il exerce grâce à des études poussées n'a pas vraiment de sens concret, que fait-il exactement ? Pour qui ? Pour quoi ? Quelle cohérence ? Quelle finalité ? A quoi lui servent ses connaissances sinon à avoir décroché ce boulot ? Et lui, où se positionne-t-il dans tout ça ? A-t-il au moins une place ou n'est-il plus qu'un genre de code-barres géant ? Beaucoup de questions mais peu de réponses. Si tout ça doit le rendre malheureux, autant arrêter tout de suite. Et c'est ce qu'il fait, séance tenante, pour le bonheur d'ouvrir un atelier de réparation de motos dans lequel il s'épanouit enfin.

Partant d'Aristote et remontant jusqu'à la philosophie moderne, l'Éloge du carburateur, en nous forçant à mettre les mains dans le cambouis, nous livre une réflexion passionnante sur la perte des valeurs humaines que tout travailleur devrait trouver dans son labeur quotidien, remplacé de plus en plus par une recherche constante de performance et de résultats, reléguant l'humain à un bardage de diplômes qui justifieront d'un emploi pour lequel le savoir théorique accumulé pendant toutes ses années d'étude lui serviront bien peu, voire pas du tout si par malchance il a suivi une voie engorgée où les débouchés se font rares.
On le sait maintenant, ça fait des années que ça dure mais il semble plus facile de continuer dans cette direction (droit dans le mur) que d'accepter de remettre en cause notre rapport au travail, vicié et vicieux puisque l'individu lui-même finit par n'être plus qu'une marchandise parmi d'autres ou plus clairement "du temps de cerveau disponible" pour citer un autre grand penseur (arf !)

Où est le plaisir du travail bien fait ? Où est la Liberté ? Matthew B. Crawford offre-t-il des solutions à tous les problèmes posés ? Non, il n'en a pas la prétention mais des questions pertinentes sont soulevées, des croyances pourtant bien ancrées sont réduites à néant et l'éternelle dichotomie manuel vs intellectuel proprement atomisée. Et rien que pour avoir ouvert ces perspectives, s'il ne nous propose pas la panacée, ça vaut le coup de prendre le temps de lire et de faire l'éloge de tous les carburateurs du monde !

Commenter  J’apprécie          223



Ont apprécié cette critique (21)voir plus




{* *}