Impressions maternelles
Si on était nées pendant un autre siècle
on nous aurait pointées du doigt,
on se serait demandé
ce à quoi Maman avait bien pu penser
pendant qu'on grandissait en elle.
A l'époque ils auraient dit
qu'elle avait regardé
des images de démons ou lu des histoires sataniques
étant enceinte,
que ces images avaient filtré
jusqu'à son ventre pour
s'imprimer sur nos corps fragiles.
A l'époque il y aurait eu
une coupable,
et cette coupable
aurait été
Maman
C'est mon histoire.
Elle est à moi toute seule parce que je suis la seule à avoir besoin de la raconter.
Je suis celle qui est encore là, non plus elle sur la droite, mais seul au centre. C'est une seule histoire, pas deux histoires emmêlées l'une à l'autre comme les corps de deux amants, comme on s'y attendrait.
Et de toute façon, Tippi était toujours plus douée pour se faire entendre. Je suis resté caché un bon moment. J'ai été lâche.
Mais voici mon histoire.
Une histoire qui raconte ce que c'est d'être Deux.
Une histoire qui raconte ce que c'est d'être Une.
Notre histoire à nous.
Et c'est une épitaphe.
L'épitaphe d'un amour.
CAUCHEMAR
A la bibliothèque municipale près de Church Square Park
où Tippie et moi ont va emprunter des DVD,
une fille munie d'un iPhone
pousse soupirs et gémissements.
"J'ai plus de réseau. J'arrive pas à me connecter au Wifi.
Le cauchemar, quoi",
dit-elle à son amie,
en agitant le téléphone autour d'elle
comme pour harponner une onde
baladeuse.
C'est marrant quand même ce qui inquiète les gens
alors que leurs vies, franchement,
se passent nickel.
« Elle n’est pas un morceau de moi. Elle est moi totalement et sans elle il s’ouvrirait un dévorant espace dans ma poitrine, un trou noir en expansion que rien d’autre ne pourrait combler. Vous voyez ? Rien ne pourrait combler ce vide. »
Mrs Buchannan enseigne le badminton à toute la classe
et au lieu de rester à regarder,
on les rejoint
maladroitement.
Quand même. Le volant a beau être léger,
on a beau avoir chacune une raquette,
on est loin de pouvoir battre un seul joueur
de l’autre côté,
même quand ce joueur est Jon,
qui ne fait aucun effort pour courir.
On aurait pu penser qu’il nous laisserait gagner
quelques points.
On aurait pu penser qu’il le ferait par compassion,
qu’il laisserait le volant, généreusement,
piquer du nez de son côté une ou deux fois.
Mais non, pas de quartier.
On devrait peut-être être découragées,
avoir l’impression d’être des nulles.
Mais savoir qu’on a perdu à la loyale,
savoir que Jon n’a aucune pitié,
c’est une victoire, en vérité.
L'importance n'est pas d'être 2 ou bien 1, l'importantce est d'être heureuse même si l'on n'est pas comme d'autres le sont.
Sainte Catherine
En philosophie on étudie
la division du corps et de l'esprit
à travers l'histoire
en vue d'un débat en classe.
Et moi je me prends de passion pour
sainte Catherine de Sienne, née en 1347.
Elle a survécu à la peste noire
étant bébé,
mais
elle est morte quand même à trente-trois ans
car elle refusait de manger.
Tippi dit que c'était une anorexie non diagnostiquée,
mais sainte Catherine assurait qu'elle ne croyait pas
que son âme ait besoin de ce type de nourriture,
et elle s'est concentrée,
à la place,
sur Dieu et la prière,
sur l'abandon de toute chose matérielle,
pour escalader l'échelle jusqu'au royaume des cieux.
Parfois je voudrais pouvoir être comme ça :
engagée dans une lutte
de l'âme,
au lieu de m'inquiéter
tout le temps pour mon corps.
Nous
Voilà.
Et vivantes.
Extraordinaire, n'est-ce pas ?
D'arriver
à vivre
comme ça.
Grammie pince l'oreille de Tippi.
« C'est pour les losers dans le couloir de la mort,
le dernier repas. Vous, tout va bien se passer. »
Tippi ne lui cite pas de statistiques,
elle la pince à son tour et lui dit :
« Si j'avais ton âge, je prendrais un dernier repas
tous les soirs. » (p.365)
je veux apprendre
à imiter
leur invisibilité