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Critique de AlbertYakou


Il est difficile de résumer cette grosse BD de 283 pages, très dense, ramifiée en plusieurs chapitres et par moment assez ardue par les rouages économiques qu'elle explique. Au début, je dois le dire, j'ai été un peu déçu par le chapitre 1. Non pas que, rétrospectivement, après avoir terminé l'ouvrage, il ne soit pas dans le ton du récit, mais parce qu'il indique très tôt, trop tôt sans doute, à quel point la conversion au libéralisme du PS vient de loin, depuis le début des années 80 par le courant proche de Jacques Delors auquel appartenait… François Hollande.
Le chapitre 2 révèle l'origine et le développement de ce que les auteurs appellent « la galaxie libérale ». C'est le chapitre un peu ardu, assez abstrait, où la lecture est un peu lente pour bien suivre l'idéologie libérale et son évolution.
C'est au chapitre 3 que la BD devient passionnante. Elle explique le dilemme qui s'est posé peu après l'arrivée de la gauche au pouvoir. le Franc était surévalué (par rapport au Mark allemand) et la compétitivité des marchés français en souffrait. On pouvait dévaluer, comme souvent depuis la libération. Une monnaie plus faible redonne de la compétitivité sur les marchés étrangers (nos produits sont moins chers), les usines produisent de nouveau, l'emploi est préservé. le seul écueil est l'inflation, mais l'indexation des salaires sur les prix permettaient aux salariés de ne pas voir baisser leur pouvoir d'achat.
A cette époque, pour dévaluer, il fallait sortir de ce qu'on appelait le Serpent Monétaire Européen (SME) qui fixait les taux de change entre les monnaies européennes et empêchait la dévaluation. La lutte fut rude au sein du PS, mais le choix de Mitterrand (une buse en économie) sous l'influence de Jacques Delors et d'un cercle étroit qui travaillait avec lui, fut de ne pas sortir du SME, donc de ne pas dévaluer, d'inventer une règle sortie du chapeau et absolument non scientifique comme quoi le déficit de la France ne devait pas être supérieur à 3% et enfin, comble du comble pour un parti qui se prétendait de gauche, de supprimer l'indexation des salaires sur les prix. C'est la conversion au libéralisme et le début du déclin français. C'est aussi la fin de la gauche.
Non dévalué, le Franc fort ne permet plus de vendre nos produits (trop chers et les autres pays préfèrent alors acheter à l'Allemagne), en conséquence notre industrie se délite, les délocalisations s'accélèrent, les usines ferment, le chômage augmente, sans compter que les salaires sont bloqués puisqu'ils ne suivent plus l'inflation qui, certes, est réduite (environ 2%) mais bien réelle néanmoins.
Stopper l'inflation n'est d'ailleurs qu'une préoccupation des financiers, des créanciers et des rentiers, qui voient leur profit diminuer quand elle est forte et aiment la voir contenue dans des limites faibles.
Je n'ai pas l'intention de décrire tout le contenu de cette BD mais le chapitre sur la construction européenne, entièrement basé sur la mise en place d'une économie libérale (vous savez, les fameuses réformes structurelles ?) est tout à fait passionnant et d'une tristesse aussi, à pleurer.
Accompagnée et même cornaquée par le PS au cours des deux mandats de Mitterrand, cette construction européenne se termine en apothéose par l'instauration de l'euro, c'est-à-dire une monnaie trop forte (l'ancien Mark allemand) qui a coulé les pays du sud, les a privés de leur souveraineté monétaire (donc de leur souveraineté tout court) et de l'arme de la dévaluation pour demeurer compétitifs.
Notons par ailleurs que cette construction européenne, qui part de loin elle aussi, dès la libération avec Jean Monnet, sera un temps freinée par De Gaulle, trop nationaliste pour abdiquer la souveraineté de son pays et accepter l'instauration d'une institution supranationale (la commission européenne) qui prive les pays membres de toute décision politique. De Gaulle souhaitait une union européenne, mais intergouvernementale et politique, et non une Europe supranationale, économique et libérale. Il faudra attendre son départ et l'arrivée de Pompidou pour reprendre cette trajectoire funeste qui nous a conduits où nous sommes : un pays qui n'a plus d'industrie, avec un effondrement des salaires, une augmentation de la précarité et toujours, encore et encore, un chômage de masse bien pratique pour taire les revendications salariales (« si vous refusez cet emploi, dix personnes sont prêtes à le prendre »…).
Le néolibéralisme conduit aux drames à venir. L'augmentation des inégalités (effarantes) et la misère poussent la population à rejeter les politiques, à devenir violents, et les gouvernements à se servir de la violence policière pour la faire taire. Ceci ouvre la porte au néofascisme qui grimpe et s'installe un peu partout dans le monde. C'est un vent mondial.
A ce propos, les auteurs finissent sur une conclusion à laquelle je crois depuis longtemps. Une union se fera tôt ou tard entre la finance libéralisée et les partis néofascistes. Elle a déjà commencé du reste, puisqu'en Europe plusieurs gouvernements d'extrême droite sont au pouvoir et restreignent les libertés sans que la commission européenne n'y voie rien à redire. Les loups entrent dans la bergerie tout simplement parce que, dans la bergerie, ils trouvent d'autres loups prêts à s'allier avec eux.
C'est pourquoi, petite réflexion personnelle pour finir, ceux qui votent Macron au second tour, acceptant à contre coeur le libéralisme et son lot de misère pour éviter le néofascisme, se trompent du tout au tout. Au final, ils auront les deux.
Une BD à lire impérativement pour mieux comprendre l'ampleur du désastre.
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