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Critique de michfred


Rien de moins italien que ce livre-là.
Ni soleil, ni sensualité, ni passion, ni vibrato.

Une famille de femmes, sorcières de mère en fille sur quatre générations, croupit dans une petite vallée humide et sombre, qu'on dirait toujours assignée à l'hiver, au bord d'un lac maudit, avec ses gouffres et ses maŕais, un lac dont les eaux perfides noient, avalent, recrachent des corps, des boues, des villages, des secrets...

Rien de moins fantastique non plus : les enfants vont à l'école en car, le bureau de tabac vend des cigarettes et des cartes postales, les "sorcières" regardent la télé.

Et pourtant quelle étrange, quelle prenante, quelle poisseuse atmosphère!

Comme si le temps s'était arrêté sur cette vallée.
Comme si les échos de la vie n'y parvenaient plus qu'étouffés sous un couvercle d'angoisse et de chagrin.
Comme si d'invisibles fils contraignaient les personnages-essentiellement des femmes-, à arpenter, comme d'inlassables fourmis, les mêmes routes : de la maison d'Elsa-autrefois celle de Clara- à la cabane forestière d'Onda, du lac inquiétant au cimetière, le domaine de Luce - avec quelques incursions dans le tabac de Lucio et des passages obligés et douloureux à l'école du village où, plus que partout, la jeune Fortuna, la derniere de la lignée, ressent sa difference et son exclusion.

Funèbre, macabre, morbide, Aquanera mérite bien son nom.

Pourtant on se laisse progressivement envoûter par cette noirceur- cette tristesse pénétrante comme un crachin.

Sans doute parce qu'elle refuse tout compromis avec le roman italien social plein de colère , ou avec le roman fantastique plein de suspense - et parce qu'elle vient toquer sur la vitre de notre conscience avec obstination.

Qu'est -ce qu'elles ont à nous dire, ces femmes dont les "dons" ou les bizarreries troublent et inquiètent leur entourage - et nous- au point qu'elles sont exclues, rejetées?

Ces femmes sont toutes des filles sans l'amour d'une mère.

Parfois l'amour fait un saut générationnel : une grand'mère aime sa petite-fille, et la sauve. Un peu. Mais chacune est rejetée par celle qui l'a mise au monde et devait le lui ouvrir tout grand.

Toutes portent sur l'épaule, comme Luce, ou au creux de leur ventre cette désolation originelle, comme une noire chimère. J'ai constamment pensé à Baudelaire, et au magnifique poème en prose Chacun sa Chimère en lisant ce livre prenant et oppressant.

On sort de cette lecture tout embrumé et un peu perdu, comme d'un cauchemar chargé de sens obscurs.

Ni italien, ni fantastique, mais d'une poésie maléfique et funèbre, Aquanera envoûte et enveloppe.

"La tristesse est comme un poison. On peut l'aimer mais non s'en trouver bien ", disait Gide. Il avait raison, mais parfois, la tristesse donne des clés pour ouvrir les portes de la joie.

Ce deuxième livre, si différent de son premier roman, mais néanmoins réussi, montre que Valentina d'Urbano a plus d'une corde à son arc, et plus d'une clé sur son trousseau.

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