Citations sur Maquillée. Essai sur le monde et ses fards (10)
En ne voyant qu'une manifestation de notre décadence dans la culture de la beauté, dans ce qui a trait à l'ornementation des corps, on enferme le maquillage dans une vision sexiste qui associe les ravages du capitalisme à la femme, et plus particulièrement aux soins du corps.
La toilette féminine paraît obscène, parce qu'elle met en évidence une recherche de plaisir, mais aussi une situation où la femme est l'auteure de sa propre image.
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Si je m’écris aujourd’hui, c’est pour m’assurer d’avoir existé.
On est porté à railler les visages fardés plutôt qu'à louer le talent artistique qu'ils démontrent. On aime se moquer des filles qui se poupounent «trop », parce qu'elles usent de l'artifice, qu'on oppose à la beauté. Comme la fioriture, le maquillage est élé- gant, jusqu'à ce qu'il devienne excessif ou de mauvais goût. C'est peut-être pour cette raison-là qu'un jour, une autrice avec qui je parlais de mon intérêt pour le maquillage s'est empressée de me dire qu'elle ne s'était jamais maquillée et qu'elle était fière de ça. Alors, moi qui suis maquillée, devrais-je avoir honte? Suis-je une enquiquineuse, une illusionniste en chef, une magicienne à deux cennes avec zéro lapin dans mon chapeau, mais beaucoup trop de noir sous les yeux?
Ce qui est lumineux éblouit et risque donc d'aveugler. Ainsi, on reproche aux surfaces brillantes, comme au maquillage, de dissimuler la vérité ou alors, d'en compromettre l'accès. Ce sont des artifices qui masqueraient le réel. Pourtant, le maquillage explicite plutôt la vérité même du corps comme paraître. On pourrait dire la même chose des figures de style et des images poétiques. Elles mettent en lumière la vérité même du poème comme écriture.
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Pour m'extraire du temps monétisé, je me maquiller. Devant mon miroir, je n'arrive plus à le compter, je cesse de rentabiliser. Parfois, je me farde et me sors même pas de mon lit. Je travaille toute la journée dans ma chambre, sous les couvertures, à l'abri des regards. En fait, quand je me poudre ou que je me crème, je me rapproche de ce corps que je passe ma vie à ignorer. Je lui redonne de l'importance, un peu de dignité. Je lui trace un sourire et je rougis ses joues. Je prends soin de lui, de moi, de nous. Je me dédouble pour mieux m'enlacer.
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l'entreprise Guerlain aurait tester des dizaines de tube de rouge avant de choisir le boîtier le plus silencieux pour que les retouches de maquillage en public n'attire pas l'attention. La journaliste beauté Arabelle Sicardi, que ce genre de souci pour les détails a le don d'attendrir, voit pourtant dans ce type d'effort une énième façon d'invalider l'expérience des femmes. Ce serait un autre exemple de la manière dont on a façonné la réalité des femmes dans le monde afin qu'elles soient vues, jamais entendues, connues, mais jamais crues; désirées, mais jamais digne de confiance. Il est vrai que j'aimerais parfois faire comprendre et entendre à quel point ça me coûte d'être cute.
Et est-ce que ce n'est pas ça que l'on fait, quand on se maquille ou qu'on écrit? On se donne un début, une fin. On exprime notre propre cosmogonie: il était une fois qui je suis.
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Plus qu'une substance, le plastique est l'idée même de sa transformation infinie [...] il est moins objet que trace d'un mouvement. Sa mobilité incarne à elle seule l'essence de la mondialisation : la libre circulation des marchandises. Mais le mouvement du plastique est morbide, ne génère jamais de vie. Matière inerte, stérile, ce sont les autres qui le transportent, qui le charrient. Il choit ou se laisse choir, là où on se départit de lui: dans les dépotoirs, les océans et les cimetières de ce qui ne meurt jamais vraiment. Si le médium est le message, alors le plastique nous chuchote peut être l'issue de la modernité: une apocalypse qui ne féconde rien.
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Or, l'opulence présuppose la rareté, car elle fleurit sur la misère des autres.
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