Citations sur Chère Laurette, tome 1 : Des rêves plein la tête (22)
Lorsque l'enfant revint à la maison ce midi-là, il n'eut qu'un seul commentaire :
— J'aime pas ça, l'école. C'est plate.
— Eh ben, mon petit gars, t'es mieux de t'habituer parce que je te garantis que t'en as pour un bon bout de temps à y aller, lui dit sa mère. Tu viens juste de commencer ajouta-t-elle pour le rassurer, tu vas finir par aimer ça.
Laurette n'avait pas encore ouvert la bouche. Appuyée contre le comptoir, elle regardait sa mère, dont le visage pâle et les cernes disaient assez l'épuisement. Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une immense admiration pour cette femme énergique qui savait déjà surmonter sa douleur pour réapprendre à vivre sans son vieux compagnon.
Bonyeu, on prend des remèdes quand on est malade, pas quand on est en santé ! s'emporta Laurette, en répétant sans s'en rendre compte ce qu'avaient dit ses aînés. En tout cas, je t'avertis, Gérard Morin, si c'est pour faire un drame chaque fois que je dois leur faire prendre ça, c'est toi qui vas leur faire avaler leur cuillerée. C'est pas écrit sur la bouteille que ça doit être pris le matin, cette affaire-là. Ça peut être le soir. Je suis tannée d'être la seule à m'obstiner avec eux pour leur faire faire des choses qu'ils aiment pas.
Lorsque la voiture s'éloigna en direction de la rue Fullum, Laurette poussa un soupir d'exaspération. Il n'y avait pas à dire, elle ne s'entendrait jamais avec sa belle-mère. Les deux femmes étaient comme chien et chat chaque fois qu'elles étaient en présence l'une de l'autre. Elle avait beau se raisonner avant chacune de ses visites, Laurette finissait toujours par exploser, incapable de tolérer les remarques désobligeantes de Lucille qui, chaque fois clamait qu'elle n'avait aucune intention de blesser sa bru.
Depuis deux ou trois ans, Gérard se faisait de plus en plus coquet, sans qu'elle trouve à y redire. Le père de famille avait choisi de soigner son apparence. Il ne sortait jamais de la maison avec une mise débraillée, même lorsqu'il allait chez Comtois pour acheter son tabac ou son journal. Lors de leurs sorties, il n'était pas question de porter autre chose qu'une chemise blanche dotée d'un col rigide. Il portait évidemment une cravate et un veston. Pour aller au travail et en revenir, il avait toujours des vêtements propres et était minutieusement peigné. Parfois, il osait même faire à sa femme une remarque sur sa tenue. En ces occasions, Laurette ne manquait jamais de laisser éclater sa mauvaise humeur.
- Moi, ta famille, je peux plus la sentir ! s'emporta-t-elle.
— Qu'est-ce qu'elle a, ma famille ?
— Elle a qu'elle manque jamais une chance de nous mépriser. T'as entendu ta mère. Nous autres, les pauvres, on reste dans un trou. C'est pas comme chez ta sœur qui, elle, va rester dans un château ! Même si ta mère continue à me dire «vous» pour me faire sentir que je suis une étrangère, elle rate pas une occasion de m'écœurer. J'ai profité des Parenteau, à cette heure, et je les ai maltraités, à l'entendre. Elle est bonne, celle-là ! Pas de saint danger qu'elle me demande mon opinion. Ben non ! Moi, je suis juste la bru, celle qui a pas de classe, celle qui fume et qui parle mal.
Avant même qu'il s'en rende compte, Laurette avait traversé la rue, l'avait saisi par une oreille et lui avait envoyé une gifle propre à lui arracher la tête. Le vaurien se retrouva par terre, les quatre fers en l'air, tout étourdi. Devant l'impétuosité de l'attaque, Bessette avait lâché sa victime pour faire face à la jeune fille, un sourire mauvais aux lèvres. S'il pensait intimider la fille d'Honoré Brûlé, il en fut pour ses frais. Elle fonça sur lui, l'attrapa par les cheveux et, avant même qu'il puisse esquisser le moindre geste de défense, lui écrasa le nez d'un solide coup de poing. Stupéfait, le voyou retrouva son complice par terre en tenant à deux mains son nez ensanglanté.
La neige qui tombait depuis le milieu de la nuit donnait un aspect feutré aux funérailles d’Annette Brûlé, comme si elle avait décidé de quitter son monde sur la pointe des pieds, sans vouloir déranger.
-- Aimeriez-vous mieux que je fume la pipe ou que je chique, m’man ?
-- Non, j’aimerais mieux que tu fumes pas pantoute, avait rétorqué sa mère du tac au tac. C’est mal vu une femme qui fume, et tu le sais.
-- Je fais ça juste dans la maison et il y a personne qui me voit, m’man, s’était défendue la jeune femme. Ça me calme les nerfs, maudit verrat ! Quand le petit sera au monde, je vais arrêter.
Il n’en restait pas moins qu’Annette avait sévèrement blâmé son genre pour sa mollesse, et pas seulement en ce qui concernait cette nouvelle mauvaise habitude de sa fille. À ses yeux, il n’était pas normal que cette dernière parvienne à toujours imposer ses quatre volontés dans son jeune ménage.
L’été 1940 ne fut pas uniquement marqué par de grandes chaleurs. La conscription des célibataires, décidée par le gouvernement de Mackenzie King, poussa des centaines de jeunes à se marier pour y échapper.