"Tu m'as obsédé toute ma vie. Et je crois même t'avoir aimé un peu, malgré ce que tu m'as fait subir. Mais maintenant que je t'ai vu tel que tu es vraiment, tu as rompu l'enchantement, tu m'as libéré.
Dante attendit que ses yeux s'habituent à l'obscurité, puis il ferma les rideaux, ne laissant qu'une étroite ouverture, par laquelle il glissa la tête. Il pouvait maintenant voir une portion du quartier, derrière le reflet de son visage. Le Père était là, dehors, quelque part. La cage était désormais aussi vaste que le monde, mais Dante était toujours son prisonnier.
Pour voir une chose, il faut se tenir à bonne distance. Et j'avais cette distance, même si je ne l'avais pas choisie.
- Alors reste avec tes doutes. Travailler avec quelqu'un de sceptique aide à garder un esprit ouvert. - Il jeta le sachet et se lava les mains à l'eau d'une fontaine. - Même si c'est une épine dans le pied.
- Je ne te savais pas si patriotique, observa-t-elle.
Dante la regarda sans comprendre.
- Patriotique ?
- Tu as dit que tu t'engagerais en cas de guerre.
- C'est juste parce qu'en temps de guerre il y a plus de civils qui meurent que de soldats, tu ne le savais pas ?
- Alors tu devrais savoir qu'à l'âge de la fille de ta non-cliente, les enfants n'ont qu'une seule façon de distinguer la vérité du mensonge. La vérité, c'est ce que les parents approuvent. Le mensonge, c'est ce qui les rend mécontents.
La première chose que le garçon a apprise dans ce monde circulaire, ce sont ses nouveaux noms. Il en a deux. « Fils » est celui qu’il préfère. Il y a droit quand il fait bien les choses, quand il obéit, quand ses pensées sont simples et rapides. Dans le cas contraire il s’appelle Bête, le garçon est puni. Quand il s’appelle Bête, le garçon a froid et faim. Quand il s’appelle Bête, le monde circulaire empeste.
Le monde est une paroi arrondie de ciment gris. Le monde est fait de bruits ouatés et d’échos. Le monde est un cercle deux fois plus large que ses bras grands écartés.
Tu m'as obsédé toute ma vie. Et je crois même t'avoir aimé un peu, malgré ce que tu m'as fait subir. Mais maintenant que je t'ai vu tel que tu es vraiment, tu as rompu l'enchantement, tu m'as libéré. Même si tu me gardes enfermé ici, je serai plus libre que je ne l'ai jamais été.
- Je connaissais un type qui ne dormait jamais, répondit Dante.
- Et comment il a fini ?
- On lui a tiré une balle dans la tête, maintenant il dort un peu trop.