Les livres n’ont jamais sauvé personne.
Ma lettre fut oubliée dans son bagage. Beccaria la retrouva des années plus tard et plein de remords l'envoya à Ferney. Elle parvint entre mes mains alors que Voltaire était déjà mort et que j'étais occupé à classer ses archives. Je l'avais écrite en me servant de certaines de mes encres expérimentales et durant les dix-sept années qui s'étaient écoulées, tous les mots sans exception avaient été effacés. Il ne demeurait que quelques traits, les plus appuyés, qui rappelaient des traces d'oiseau sur le sable.
C'était une époque qui appréciait le fragile et l'inutile : je ne connaîtrai plus rien de semblable. A un condamné à mort dont on m'avait chargé de rédiger la sentence, on montra le manuscrit avant de monter sur l'échafaud; il était plein d'arabesques et de cachets de cire, et il déclara : dites au calligraphe que je lui sais gré d'avoir transformé mes crimes en une chose aussi belle, je tuerais volontiers dix hommes de plus à seule fin de contempler à nouveau une oeurvre semblable. De ma vie je n'ai reçu si bel éloge.
La salle où s'élaboraient les documents était toujours plongée dans un silence que seul le grattement des plumes contre le papier interrompait; un bruit qui était la métaphore du silence.