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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2014/2015, tous écrits par Kelly Sue DeConnick, dessinés et encrés par Valentine de Landro (sauf l'épisode 3 dessiné et encré par Robert Wilson IV), avec une mise en couleurs réalisées par Cris Peter.

L'histoire se déroule dans le futur à une date non précisée. Une animatrice de radio arrive juste à l'heure pour commencer son émission. Elle évoque la Terre comme une planète Père, et l'espace comme la Mère. Dans l'espace, sur une planète prison pour femmes, les dernières arrivées sortent nues de la douche obligatoire, pour aller récupérer leur combinaison réglementaire de détenues. Ça dégénère tout de suite en baston avec les matons (mâles) parce que l'une d'entre elles (assez imposante) estime que sa combinaison n'est pas à sa taille et qu'elle n'a pas la place d'y caser son deuxième sein.

Sur Terre, les responsables exécutifs du sport Duemila (ou Megaton en argot) recherchent comment améliorer les audiences. L'un d'entre eux suggère de constituer une nouvelle équipe amateur, composée de prisonnières volontaires. Père Ed Josephson transmet la proposition à Roberto Solenza, le responsable de l'entreprise de détention. La pression des responsables de la prison (représentés par Miss Whitney) pèse fortement sur Kamau Kogo pour qu'elle constitue une équipe. Qu'est-ce qui va la convaincre de choisir Katrina Jaimes-Freyre, Nut Suhair, April Liu, Marilyn Gunning, Alika Kahale, Danielle Zubiate, Meiko Maki, Penelope Leona Rolle ?

Dès le titre et la couverture, le lecteur a compris que Kelly Sue DeConnick ne va pas faire dans la dentelle. Elle met en scène des détenues condamnées pour des crimes réels, traitées sans ménagement, ne se laissant pas faire, et n'ayant pas peur des affrontements physiques. Dès la deuxième scène, le lecteur voit les corps nus et de face de 5 d'entre elles, et d'une dizaine d'entre elles la page suivante. Il y a également une scène dans les douches collectives, avec quelques caresses et un voyeur. Si le scénariste était un homme, il serait taxé d'exploiter le corps de la femme, comme s'il s'agissait d'un objet. Comme c'est une femme, elle dispose du bénéfice du doute.

L'intrigue principale concerne le groupe de détenues de femmes, avec Kamau Kogo comme personnage principal, et Penelope Rolle (la détenue massive) et Miss Whitney (représentante de l'administration de la prison), dans les seconds rôles. Il y a plusieurs intrigues secondaires, à commencer par les stratégies du père Josephson (le responsable du sport Duemila) avec Roberto Solanza, mais aussi une détenue qui souhaite retrouver sa soeur, un mari (sur Terre) qui souhaite savoir ce qu'il est advenu de sa femme qui a été emprisonnée, un arrière-plan politique quant à la forme de gouvernement.

Oui, ce récit s'inscrit dans une forme de genre d'exploitation, amalgamant des éléments de science-fiction, une pincée de politique fiction, et des femmes qui n'ont pas froid aux yeux qui apparaissent dénudées au moins une fois pour 3 épisodes sur 5. le lecteur est ainsi placé en situation de voyeur. Toutefois ce parti pris narratif ne se limite pas à de la titillation gratuite. Pour commencer, ces femmes présentent des morphologies diverses et variées, pas uniquement des plastiques de mannequin. Ensuite dans l'épisode 4, Rick Weldon (le maton qui reluque les femmes sous la douche) se fait choper par l'une d'elle et son sort est peu enviable, avertissant le lecteur qu'elles ne sont pas réduites à de simples objets.

En effet, tout au long de ces 5 épisodes, le lecteur en apprend plus sur ce qui leur a valu de se retrouver en prison, sur leur caractère et sur les attentes. de manière inattendue, il en apprend plus sur Penny Rolle que sur Kamau Kogo, car un épisode entier lui est dévolu, le numéro 3. de manière plus ou moins explicite, en fonction des séquences, la scénariste établit que ces femmes sont coupables des crimes concrets pour la plupart. Quelques-unes sont avant tout coupables d'être non-conformistes, c'est-à-dire de ne pas se conformer aux normes de la société. Dans cet épisode consacré à Penny Rolle, le lecteur découvre une femme au caractère bien trempé ayant des difficultés à contenir son énervement, face à des petites vexations de la vie de tous les jours, des remarques insidieuses, dont les responsables ne se rendent même pas compte de leur caractère blessant.

Le lecteur ne peut pas cautionner les agressions physiques commises par Penny Rolle qui ne va pas jusqu'à tabasser celui à la langue trop bien pendue, mais il ne peut pas complètement lui donner tort. Tout le monde a déjà ressenti ce moment où l'accumulation de petites vexations, de sous-entendus plus ou moins voulus et d'attitudes à connotation agressive, finit par faire qu'il suffit d'un tout petit rien pour faire déborder le vase, et faire sortir de ses gonds.

De fait, Kelly Sue DeConnick se révèle très futée et pertinente dans sa manière de mettre sur le même plan des actes criminels et des réactions répréhensibles, mais compréhensibles. Elle joue à la fois sur le comportement dures-à-cuire de ses protagonistes, et sur les conséquences de leur non-conformisme. Elle utilise les conventions de genre (prison, SF, exploitation, sport brutal) pour mieux faire apparaître les mécanismes de contrainte que la vie en société génère, applique et implémente pour conserver sa cohésion. En insérant quelques écarts mineurs sanctionnés comme des crimes, elle fait ressortir le côté arbitraire de certaines lois, ainsi que leur application mécanique, sans recul.

Valentine de Landro réalise des dessins qui appartiennent à la catégorie réaliste, avec un niveau de détails moyen. La composante science-fiction est présente visuellement de manière discrète, sans beau vaisseau spatial ou technologie rutilante, juste quelques accessoires ou tenues vaguement futuristes. Les arrière-plans contiennent suffisamment d'informations visuelles pour savoir où se déroule la scène. de manière chronique, ils peuvent présenter plus de détails quand la scène le requiert pour une meilleure compréhension. L'artiste sait composer ses cases pour qu'elles présentent un bon niveau d'informations visuelles sans paraître vides ou creuses, ni surchargées. Il utilise un encrage un peu appuyé ce qui apporte le degré de noirceur et de sérieux voulu au récit.

Cet artiste est donc amené à représenter des corps dénudés de femmes dans les épisodes 1, 2 et 4 (il n'y en a pas dans les 3 et 5). Il le fait de manière pragmatique et réaliste. Il représente la zone de pubienne par une zone noire, plus ou moins importante en fonction de la pilosité, sans aller jusqu'à représenter chaque poil. Il représente les mamelons et les auréoles, sans non plus aller jusqu'au grain de peau. Il attribue des postures réalistes aux personnes qu'il dessine. Il s'agit donc d'une approche naturaliste, à l'opposé des codes des magazines de charme ou des films pornographique. La tonalité visuelle se situe plus dans le naturisme que dans l'érotisme.

Robert Wilson IV réalise des dessins également dans un registre représentatif, avec un niveau de détails similaire à celui de de Landro. Son encrage est moins appuyé et il a tendance à exagérer légèrement les expressions, ce qui introduit un second degré comique, pas forcément le bienvenu dans ce récit, mais pas trop marqué. L'histoire de Penny Rolle ne bascule pas dans le registre de la farce.

Ce premier tome tient ses promesses de récit de type exploitation, avec une tonalité Grindhouse, que de renierait pas Alex de Campi (voir Grindhouse: Doors open at midnight Double feature). Kelly Sue DeConnick ne se contente pas de titiller et d'émoustiller le lecteur avec de simples provocations. Son récit utilise les conventions des différents genres auxquels il les emprunte, pour évoquer la contrainte de conformisme que la société fait peser sur ses membres. Il y a également une intrigue principale qui n'avance pas beaucoup du fait du nombre d'intrigues secondaires que la scénariste souhaite visiter. du coup ce premier tome se lit plus comme un prologue que comme un chapitre à part entière. de Landro réalise un travail compétent, transcrivant bien l'atmosphère du récit et dépourvu de l'hypocrisie pudibonde habituelle. Il y a bien des représentations de face du corps féminin dénudé, mais elles ne s'inscrivent pas le registre de l'érotisme, de la pure et simple exploitation. 4 étoiles pour un premier tome bien ficelé, manquant un peu d'unité, en voulant aborder trop de choses.
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