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Critique de jongorenard


"Offenses" commence avec une sordide histoire de meurtre dans un modeste appartement de banlieue parisienne. le logement est celui d'une vieille femme aigrie par la vie, délaissée par sa famille, rejetée par les habitants de son quartier. le seul personnage qui lui parle ou l'aide est paradoxalement son assassin, un jeune homme de 19 ans qui vit au-dessus de chez elle et qui la tue en raison d'une dette dérisoire qu'il avait auprès d'un dealer. La misère se nourrit de la misère avec ce crime qui est le premier temps du roman.
Le deuxième est celui du procès, une autre narration, celle de l'appareil judiciaire, celle du jugement d'un homme seul face à la société. Nouveau paradoxe, alors que le jeune homme est au centre du procès, qu'il en est le personnage principal, l'expert psychiatrique « spécialisé dans l'âme humaine » dit de lui qu'il est insignifiant, comme s'il n'avait pas de valeur, ni pour le procès ni pour la société. D'ailleurs, les juges eux-mêmes ne semblent guère considérer l'humanité de l'accusé pour s'intéresser surtout à son côté monstrueux. La condamnation suit, sans surprise.
Ce jeune homme m'a immédiatement fait penser au Raskolnikov de Dostoïevski qui tue une vieille dame pour de l'argent. Évidemment, la forme littéraire n'est pas la même. Ici, le propos est resserré sur une centaine de pages pour aller au coeur du sujet, au coeur des ténèbres. Et même si Constance Debré utilise le « il » d'un narrateur omniscient, elle revient par moment à la puissance du « je » pour « crache[r] à la figure du monde, dénonce[r] ses mensonges, pleure[r] ses promesses. » L'écriture est épurée et va à l'essentiel.
Ici, la hache de Raskolnikov est remplacée par un gros couteau de cuisine. Les victimes se ressemblent et leur mort n'émeut personne. Les deux assassins ont des points communs également. Ils partagent la pauvreté, l'exclusion sociale. Leurs actes criminels semblent même arranger tout le monde et avoir un but politique, humanitaire ou sacrificiel. Dans "Offenses", le narrateur déclare : « Je l'ai tuée mais je l'ai tuée à votre place. Je tue mais je tue par vous, pour vous et avec vous. Je tue parce que vous vous nourrissez de mon crime, parce que vous vous nourrissez des assassins, pour vous permettre de nous punir, parce que ainsi va le monde qui a besoin de victimes sans fin, le monde qui est fait de bourreaux partout. »
Le texte peut gêner, déranger, embarrasser, plus en raison des questions qu'il soulève que d'un éventuel sentiment de culpabilité. "Offenses" n'est pour moi ni un roman à thèse ni un pamphlet. Constance Debré décrit des souffrances psychiques, des dysfonctionnements administratifs, mais elle ne donne ni solutions ni leçons de morale et ne cherche pas à régler ses comptes avec l'institution judiciaire. Elle n'analyse pas les mécanismes psychologiques ou institutionnels générateurs de douleur, mais nous plonge dans l'âme humaine, dans nos peurs, dans notre humanité confrontée à la violence, une humanité déclassée qui survit à l'écart des centres-villes proprets. C'est un univers social peu exploré que l'autrice décrit sans artifice en délivrant une vérité âpre.
Ancienne avocate pénaliste, elle n'a pas oublié les clients qu'elle a défendus, les prisons qu'elle a visitées, les procès auxquels elle a participés. Elle puise dans cette expérience la matière pour nous rappeler des vérités simples et factuelles sur l'origine sociale pauvre ou modeste des accusés, sur la posture froide et insensible de l'institution judiciaire plus dans la sanction que dans la réparation. Constance Debré nous pose des questions morales ou politiques sur la frontière mouvante entre le bien ou le mal. le monde est-il séparé entre victimes et coupable ? Pourquoi se sent-on concerné lorsqu'un crime est commis alors qu'on veut proscrire celui ou celle qui l'a perpétré ? En plaçant le lecteur dans la peau de l'accusé, ce récit m'a touché par son universalité comme s'il racontait notre histoire, celle de la grandeur et la misère de l'humanité. À aucun moment, Constance Debré n'excuse l'acte criminel ce qui, il me semble, lui permet de mieux sonder l'âme humaine et d'aider le lecteur à mieux se connaitre en s'interrogeant sur des notions philosophiques. N'est-ce pas le rôle et la force de la littérature ?
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