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EAN : 9782290392331
96 pages
J'ai lu (06/03/2024)
3.5/5   185 notes
Résumé :
"Un meurtre c'est fait pour que quelque chose s'arrête. Est-ce que c'est possible que les choses s'arrêtent, que ce ne soit pas toujours le même aplat de tout, sur le même ton, à la même vitesse qui vous avale, irrespirable, le souffle court, ne plus avoir d'oxygène au cerveau à force, est-ce que c'est possible que tout le monde se taise, que le bébé se taise, que sa mère se taise, que le dealer se taise, que les flics se taisent, que les juges se taisent, que tous ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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« J'écris des livres, mais je voudrais qu'on me lise bien, je voudrais qu'on ne me dise pas d'être sympa, de faire la fille sympa, polie, qu'il faut faire attention avec mes phrases, qu'il ne faut pas donner l'impression aux gens que je leur crache à la gueule, alors que c'est exactement ce dont les gens ont besoin, qu'on leur crache à la gueule, qu'on leur explique que ça suffit avec la vie lamentable, puisque ça les tue la vie lamentable, puisque ça tue tout le monde la vie lamentable. »
Constance Debré, Nom

Dans la vie réelle, pour être tout à fait franche, je ne me sens pas très disposée à me faire cracher à la gueule. Mais en littérature, c'est différent. Pas par masochisme ou pour expier je ne sais quelle faute. Pour m'aider à penser. C'est à ça que servent les livres, selon moi. Au-delà de l'évasion, au-delà du divertissement, au-delà de la beauté, au-delà de la joie, du plaisir ou du déplaisir, au-delà de tout, les livres, c'est ce qui m'aide à penser plus loin. Constance Debré, que j'ai découverte avec Love me tender et Nom lus coup sur coup l'an dernier, fait partie des (rares) auteurs qui me font réfléchir. Réfléchir à la question que l'on devrait tous se poser en permanence et que, pourtant, on ne se pose jamais, avançant dans la vie comme un canard sans tête, la seule question qui compte au fond, celle à laquelle nous devrions consacrer la part la plus précieuse de notre temps : Comment vivre?

« L'éternité est là et moi je l'espérais. Ce n'est plus d'être heureux que je souhaite maintenant, seulement d'être conscient » fait dire Camus à Clamence dans La chute.
L'existence même, pas les conditions de l'existence, voilà ce qui intéresse Constance Debré, voilà ce qu'elle fouille, fore et creuse de livre en livre, faisant jusqu'ici de sa propre vie son matériau de prédilection, s'intéressant dans ce nouveau roman à une autre vie que la sienne, mais toujours s'efforçant de réveiller les consciences. Réveiller les consciences des somnambules effarés que nous sommes, nous accrochant « au hasard à n'importe quoi n'importe qui, au premier venu à la première proposition qui passe. » Nous et nos certitudes, la conviction d'être du bon côté, du bon côté de la morale, du bon côté de la société, nous qui n'avons rien à voir avec eux, les damnés de la terre, et certainement pas avec lui, celui auquel Debré prête sa voix dans Offenses, un de ces déshérités vivant des allocs et fumant du shit du matin au soir, un de ces jeunes qui voudraient s'en sortir mais n'entrevoient pas comment, un de ces « inutiles » dont la société ne sait que faire, un de ces paumés dont les autres, ceux qui s'en sortent (un peu) comme son frère aîné disent « Il va mal tourner » et voilà, ça ne loupe pas, il tourne mal, il assassine la vieille, la voisine du dessous, pour 450 euros, une « somme dérisoire » disent les nantis, les journalistes, le procureur, vous, moi, tout le monde. 450 euros contre la vie d'une vieille dame ? C'est d'autant plus absurde que la vieille était l'une des rares personnes qu'il aimait bien, et réciproquement. « Imbuvable exécrable forte tête méchante pas commode » dit tout le monde, disent tous ceux qui la connaissent, du concierge à son propre fils, ce fils qui ne lui parle plus depuis des lustres, d'ailleurs plus personne ne lui parle, ni son fils, ni sa belle-fille, ni ses petits-enfants qui habitent à deux pas, ni les voisins. Plus personne ne lui parle à la vieille, sauf lui.

« Ne croyez pas qu'il se dise innocent. Ne croyez pas qu'il se dise victime. Ne croyez pas qu'il s'absolve. Il est coupable, oui. Il est coupable d'avoir cédé, de ne pas s'être laissé écraser. Il est coupable de n'avoir pas été raisonnable, de ne pas être resté à sa place, celle qui lui a été échue. D'avoir dérangé l'ordre des choses. Il est coupable d'être tombé. »

Alors, qu'est-ce qui est le plus laid, le plus absurde? Lui qui égorge la vieille dans un moment… un moment de quoi au juste? D'égarement, de doute, de colère, de peur, de liberté ? Qu'est-ce qui est le plus grotesque, le plus pourri ? La vieille et sa petite vie minable, solitaire et rance? le dealer qui bien sûr ne fait aucune concession comme tout bon dealer qui se respecte, prêt à toutes les intimidations, à toutes les pressions pour recouvrer son dû? Qu'est-ce qui est le plus condamnable, le plus pourri? le fils, la belle-fille, les petits-enfants de la vieille qui « sont venus demander de l'argent sans honte oui sans honte d'être là au procès pour le fric. Sans honte de n'avoir jamais été là avant »? Qu'est-ce qui est le plus violent? L'expert psychiatre qui conclut, après une heure d'entretien à Fleury, que le jeune assassin qui passe ses journée à fumer et à jouer en ligne est un « personnage insignifiant »?
Qu'est-ce qui est le plus farcesque ? Les juges en grand apparat, l'avocat général « costumé dans la grande robe noir et rouge avec l'écharpe d'hermine mouchetée de noir comme les rois d'il y a mille ans », toute cette mascarade, toute cette pompe destinées à édifier, à masquer le vide qu'elles recouvrent? Car rien n'a changé depuis Pascal :
« Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s'emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. (…) Mais n'ayant que des sciences imaginaires il faut qu'ils prennent ces vains instruments, qui frappent l'imagination, à laquelle ils ont affaire. »

« Quand nous serons tous coupables, ce sera la démocratie »
Camus, la chute

Un immense merci à Bernard (@Berni_29) de m'avoir fait confiance, et de ne pas avoir eu peur de se prendre des baffes, lui aussi. À deux, c'est plus facile.

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Le titre de ce livre n'est, me semble-t-il, jamais prononcé au long de la petite centaine de pages au fil desquelles Constance Debré gratifie ses lecteurs d'une logorrhée sans style, avec quelques virgules par-ci par là, pour un ensemble dans lequel elle ne dit finalement rien ou presque.

Offenses, mais qui est offensé dans cette histoire de malheureux enfants qui ont sombré à l'image de leurs parents, biologiques ou non, de leurs fratries douteuses, absorbés qu'ils ont été par le désert de l'indifférence, pire sans doute que la haine car elle, elle exprime au moins quelque chose.

La grand-mère assassinée a déjà quitté le monde avant le meurtre puisqu'elle a été abandonnée par sa famille, croisant enfants et petits-enfants dans la rue, sans même être saluée, encore moins donc aidée ou accompagnée.

La relation du meurtrier avec sa victime est complètement zappée même si Constance Debré affirme, à juste titre sans doute, qu'il était devenu le seul à l'aimer un peu. Et puis, pour quelques euros, il la tue dans un déchaînement de violence inutile, tel que celui que que les médias s'appliquent à diffuser bien trop souvent hélas.

N'ayant rien à dire, Constance s'en prend aux juges, aux avocats, aux témoins, aux jurés, à tous ceux qui font tourner si mal un système qu'elle semble dénoncer du bout des lèvres.

Il n'y a rien à retirer de cette lecture, pas même un semblant de qualité littéraire, heureusement c'est très court et cela suffit largement.
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Tu ne tueras point.
Un jour, un matin, une vieille dame est assassinée chez elle pour une somme dérisoire.
Offenses est le récit d'une chronique judiciaire presque ordinaire, un livre atypique comme l'est son autrice Constance Debré dont je découvre pour la première fois la plume incisive et percutante.
Sans doute revient-elle en arrière, dans les pas de son ancien métier d'avocate. Peut-être a-t-elle déjà défendu des jeunes hommes comme celui qui n'est jamais nommé ici.
C'est un meurtrier de dix-neuf ans, dont l'autrice ne cherche à aucun instant à disculper le crime. Son propos est ailleurs…
C'est le sort de ce garçon, une histoire simple et tragique. Comme tant d'autres garçons de son milieu et de son âge il bascule dans l'infernal engrenage de la société.
Constance Debré écrit sur le contexte qui se noue autour de cet acte, tout se referme comme un étau autour de lui, la misère, la misère de son existence, il n'y a pas d'autres mots pour dire cela.
C'est donc un fait divers ; ce qui intéresse ici Constance Debré c'est le récit d'un individu qui n'est pas un monstre mais un jeune homme, face à la société, face aux autres, à commencer par sa famille, ses amis, son entourage, puis il y ceux qui le désignent du doigt comme déjà coupable, - coupable oui les faits sont indéniables, irréfutables même et sans aucune discussion aussi ; qui plus est désormais il y a L ADN, mais L ADN ne dit pas tout, elle ne raconte pas toute l'histoire d'avant, toute l'histoire de l'humanité, comment ça fonctionne une société avec des femmes et des hommes, des puissants et des laissés-pour-compte, des forts et des faibles, ceux d'en-haut, ceux d'en bas, ceux tout juste à proximité de la prison, il suffit de les pousser juste un peu sans force le geste pour qu'ils y entrent un jour… Elle ne nous dit pas tout cela, l'ADN d'un homme…
La société, c'est ainsi que Constance Debré nous la décrit, la société multiple, celle des journalistes, celle des procureurs, celle des experts en psychiatrie, celle des procureurs en tous genre à commencer par nous. Nous devenons procureurs à chaque fois que nous allumons la télé, écoutons la radio, lisons le journal, nous devenons procureurs au bord du zinc ou sur la place d'un marché... C'est la société du nous, celle qui juge, celle qui condamne, parfois avec une bière à la main en regardant BMFTV, celle qui verrouille, celle qui enferme, celle qui cadenasse à double-tour, celle qui met en cage à jamais, celle qui relâche parfois plus tard, plus tard eux ceux-là jugés, condamnés, cadenassés, abîmés un peu plus, eux plus tard libérés comme on libère des fauves d'une cage, eux sortis et devenus là prêts à en découdre enfin avec cette société qui les a rejetés…
C'est bien cette même société qui dit : Tu ne tueras point.
C'est la société du « Nous » contre l'individu seul, dans la solitude d'un « Je » fragile et broyé à jamais.
Dans le récit, il y a le moment de la transgression et il y a le moment du procès, ces deux moments ne relèvent pas des mêmes constructions et Constance Debré en mesure la distance avec justesse.
C'est un individu seul devant le déterminisme social et culturel, seul devant l'ordre du monde. Seul peut-être devant lui-même, qui sait ?
Ce qui intéresse Constance Debré ici, c'est de nous parler avant tout d'humanité, de la condition humaine, sonder l'âme humaine.
De nous inviter à nous mettre à la place de...
Bien sûr, il est fort difficile de nous mettre spontanément en empathie avec celui qui a tué froidement une vieille dame, quand bien même elle était odieuse avec son entourage…
L'empathie n'est pas une sympathie, l'empathie permet toujours de garder une distance. Jamais trop près, jamais trop loin, c'est la règle de l'empathie. Constance Debré est juste au bon endroit.
Dans ce récit d'une chronique ordinaire, Constance Debré convoque avec une imagination subtile et inspirante des auteurs qu'elle aime comme Albert Camus, Fédor Dostoïevski, Dante, René Girard, Victor Hugo, Marcel Proust, pour nous dire que le sujet est universel et intemporel, traverse l'imaginaire de notre littérature classique depuis des siècles, nous enrichit de ce voyage, car l'imaginaire appartient bien à la réalité, avec ses croyances, ses rêves, ses représentations. Certains auteurs ne sont pas nommés, comme Louis-Ferdinand Céline par exemple, mais je l'ai aperçu ce bougre génial à travers les lignes, et je me suis dit qu'elle y avait peut-être pensé aussi.
Tuer pour une somme dérisoire.
J'ai forcément pensé à Dostoïevski, à Crime et Châtiment, à Raskolnikov assassinant cette vieille prêteuse sur gage, odieuse elle aussi, comme la vieille dame de ce fait divers. Mais Raskolnikov, lui, fut hanté par le remords, longtemps après...
Je pense aussi forcément à l'Étranger, d'Albert Camus, où la sentence de la condamnation tombe déjà dès l'arrivée du narrateur dans la maison de retraite où vivait sa mère qui s'est éteinte et où il est venu se recueillir sur sa dépouille, tout de suite jaugé par le regard lourd des résidents.
Ici il y a la mort, mais c'est la mort aussi de celui qui tue, celui qui commet le meurtre ; la mort du meurtrier c'est la mort symbolique de celui qui va entrer dans le long tunnel où son jugement a déjà commencé. Peut-être que ce jugement avait commencé bien avant qu'il ne commette ce crime...
Bien sûr il y a le meurtre de la victime qui n'a rien demandé à personne. Je vois déjà venir à la barre les avocats de la défense : « Et la victime ? Vous y avez pensé à la victime ? Cette pauvre vieille dame vulnérable, sans défense ? » Mais ce n'est pas le propos du livre, le récit n'est pas le procès de ce fait divers, le récit se situe à un étage plus haut, il s'inscrit comme un regard philosophique croisé d'une vision sociologique vertigineuse.
Tu ne tueras point.
À travers un réquisitoire implacable contre la société qui juge, oscillant avec habilité entre le « Je » et le « Nous », Constance Debré nous invite dans ce texte radical et stimulant à nous plonger dans le fourneau de la société, elle convoque nos peurs, ce qui est en nous, ce qui sommeille en nous, ce qui rode en nous, ce que nous esquivons aussi, la question de l'individu, ce qu'elle porte de plus violent et de plus sombre ; derrière les questions du « Je » et du « Nous » se posent d'autres questions à commencer par celle-ci : pourquoi certains passent-ils à l'acte et d'autres pas... ?
Le personnage principal du récit n'a pas de nom. Aucun personnage d'ailleurs n'est nommé. Il y a quelque chose de camusien dans ce récit.
Sans doute tout est abîmé dès la naissance. Je parle ici des laissés-pour-compte de la société, ceux qui partent battus d'avance dans le grand tourbillon de la vie.
Constance Debré nous dit que la justice possède une vertu et elle la reconnaît à sa juste valeur originelle, mais nous dit aussi que c'est désormais une administration froide qui se moque du sort des laissés-pour-compte, elle est un appareil judiciaire désincarné, construit et habité par des gens qui sont persuadés d'être du côté du bien et que le mal est en face, juste là en face, de l'autre côté.
Le bien et le mal, c'est bien la question de ce récit. Les racines du mal, celles qu'on n'a pas envie d'aller chercher car elles nous renverraient trop sûrement à nos propres responsabilités...
Il n'y a pas de compréhension possible entre ceux qui jugent et ceux qui sont jugés.
Car la société est cassée… En deux. Oui, c'est comme ça à peu près, je sais que beaucoup ne s'en rendent pas compte, je sais aussi que beaucoup d'entre nous s'en rendent compte.
Dans l'idée absolue, la justice est belle, mais dans les faits elle ne répare pas, elle continue d'abîmer ceux qui l'ont été dès le début d'une désescalade, dès le début de la naissance et sans doute bien avant…
Notre société n'est pas prête à entendre cela.
Tu ne tueras point.
Cette fameuse interdiction de tuer n'a jamais permis d'éradiquer les meurtres.
Est-ce que la société est ainsi faite pour qu'il n'y ait plus de meurtres, ou bien est-elle faite au contraire pour fabriquer des meurtriers qu'on va juger pour bien les exécuter, - symboliquement certes bien sûr depuis 1981, mais quand le couperet des jurés tombe, c'est quand même parfois la mort lente, à petits feux, qui démarre, qui s'enclenche, le compte à rebours vers la fin annoncée, la perpète quoi ?
Ce meurtre du meurtrier est indispensable, nous dit Constance Debré, même symboliquement : c'est la justification d'exercer une violence légitime, c'est celle de l'État sous couvert du droit, celle qui se pare des beaux habits du bien. Il y a quelque chose de l'ordre du sacrifice…
Créer des bouc-émissaires qui permettent à la société de se justifier, de continuer à exister….
C'est un être insignifiant a dit le psychiatre, parlant du personnage du récit, la violence de cette expertise m'est apparue insupportable, elle tient en deux ou trois lignes.
Celui qui n'avait pas une vie facile a cassé l'ordre du monde, le sien, celui des autres, le monde n'est plus le même…
Dix-neuf ans, l'âge où tout commence et où tout s'arrête ici comme un couperet.
Comme chez Dante, il y a des cercles hermétiques qui ne communiquent pas entre eux, ceux qui sont tout en haut ne communiquent pas avec ceux qui sont tous en bas de cette société construite sur des étages…
Romancière de l'altérité, Constance Debré nous oblige, en tant que lecteur, à regarder ceux-là même qu'on ne veut pas voir, lorsque nous détournons parfois le regard pour faire semblant de nier cette part d'humanité qui ne nous ressemble pas...
Constance Debré nous dit aussi que nous sommes présumés coupables de tout devant tous, en ce sens que quand quelqu'un commet un crime, nous sommes responsables, concernés dans notre humanité : se sentir responsable, c'est être lié par ce que font chacun des hommes entre eux, se sentir tenu par la société dans laquelle nous vivons. Je trouve cela puissant.
Notre société actuelle, bien que laïque désormais, continue de fonctionner comme les règles édictées par la religion catholique et utilise les mêmes codes, les mêmes grilles de lectures, celles de l'homme qui avance, qui trébuche, qui chute, celui qu'on va relever, entraîner vers la rédemption, tout d'abord il s'agit de ne pas oublier de le juger et de le punir, mais ainsi et par là-même le laver de ses fautes grâce à nous, cet homme qui chute c'est le pécheur, celui qui va être crucifié, qui représente l'humanité dans ce qu'elle a de plus déchirante et à la place désormais de la crucifixion, la société actuelle, dont le code civil repose sur un catholicisme effronté, continue de juger les hommes qui ont chuté de la même manière… C'est ainsi que Constance Debré décrit son personnage principal comme un être sacrifié, c'est le récit du sacrifice, jusqu'à en faire d'ailleurs une figure christique. Oui Offenses peut déranger, oui Offenses est un livre radical, mais c'est une oeuvre d'art et une oeuvre d'art c'est aussi fait pour porter des colères et les confronter aux colères des autres.
Il y a une épure de la phrase pour aller à l'essentiel. C'est écrit à l'os avec des mots qui cognent au ventre.
J'ai aimé le propos de Constance Debré qui m'invite à penser différemment et j'aime cela. Je n'adhère pas à tout ce qu'elle dit mais je la suis dans la trajectoire qu'elle trace, qu'elle ouvre. Elle me malmène dans mes certitudes, c'est la richesse de ce texte inouï, aider à penser contre soi-même, contre nos croyances, nos rêves, nos représentations. Constance Debré est pour cela une grande autrice.
« Si le juge était juste, peut-être le criminel ne serait pas coupable ? »
Fiodor Dostoïevski, Les frères Karamazov.
Je remercie ici mon amie Anna (@AnnaCan). Connaissant déjà l'autrice pour avoir lu ses trois premiers livres, Anna a su nous entraîner vers ce récit qui m'a bousculé furieusement, mais qui pour autant ne se situe pas en dehors de ma zone de confort, bien au contraire.
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Le poète a dit
la vérité,
elle doit être publiée (?)

Un être insignifiant. C'est ainsi que le psychiatre, le spécialiste du médico-légal,décrit notre homme. Il ne signifie donc rien. Pas de métier, pas de formation. Même pas de passe-temps. Ni opinions ni intérêts. C'est blanc, comme une page blanche, il n'y a rien à voir. Il ne signifie rien et il n'est pas signifié non plus, par d'autres. Membre de rien, affilié à personne. Non, en fait on ne sait même pas où il vit, quelque part dans la grande banlieue, dans un logement standardisé. C'est gris, tout gris, rien ne ressort. Alors, que ca ne vous fasse rien s'il n'a pas de nom. Ni nommé ni décrit. Grand, petit, fort… tout cela n'a pas d'importance. Un être générique, non pas parce qu'il représenterait une classe ou une catégorie d'analogues, mais justement parce qu'il ne représente rien. Il ne se représente même pas lui-même.

Les gens autour de lui, c'est pareil. Eux non plus ne représentent rien. Il se trouve qu'ils sont là. C'est tout. Des êtres… déconstruits. Ou plutôt, des êtres qui ne se sont jamais construits. Alors, forcément, ils ne signifient rien. Ni l'un pour l'autre, ni pour eux-mêmes. Car ce “soi”, auquel je viens de faire référence, ce “soi” existe à peine. C'est un potentiel, qui ne sera jamais réalisé. Une masse indifférenciée de potentiels à la limité de l'existence, au bord du néant, pas trop sur s'ils existent, au fond. Et puis ca n'a pas d'importance.

Ca n'a donc pas d'importance non plus si dans un tel monde il se passe des choses. On fait des petits boulots. On vole un peu. On deale, on se drogue, comme on peut. Mais, non, parfois, juste une ou deux fois par ci par là, on franchit, sans le savoir, un seuil d'alarme. Car… il y a d'autres mondes. Et ceux-ci, une fois un certain seuil franchi, se sentent concernés.

C'est le cas. On a tué. Tué, vous dis-je ! Vous ne comprenez pas ? Tué !

Ici, ce sont des choses qui arrivent, mais ailleurs, ailleurs, c'est énorme. Ca s'appelle un meurtre. Alors surgit du brouillard, d'un coup, toute une machinerie : policiers, juges, procureurs, avocats ! Tout à coup, ici !

Le spot se pose sur un être qui, subitement, n'est plus insignifiant. Il prend la signification d'accusé, puis de coupable. Mission accomplie, le coupable est évacué vers une région encore inférieure, et toute la mystérieuse machine repart vers son monde. Allez-y comprendre quelque chose. Sauf ceci : un seuil d'alerte a été franchi, un coupable trouvé et rejeté, les paramètres ne sont plus en zone rouge, mission accomplie.

Une femme faisait partie d'une telle machinerie. Elle était hautement signifiante : diplômes, finances, pouvoir. Hautement signifiée aussi ; le nom, les réseaux. Elle les a rejetés. Aussi radicalement, aussi totalement qu'elle a pu. Elle, construite, par d'autres dit elle, elle s'est déconstruite. Pour devenir quoi ? Une auteure. Elle n'est pas passée par la zone des insignifiants - elle serait “ontologiquement riche” même sans une thune - elle a suivi une courbe différente. Elle décrit les insignifiants, même si elle ne peut pas en être. Elle ne peut cesser d'être totalement qui elle a été. Elle est devenue, est en devenir, devenir autre chose. Quoi ? Elle ne sait, elle joue, elle danse, elle esquive, ne veut pas se laisser cerner, ne veut pas être définie. Que signifie t-elle ? Par qui se laisse t-elle signifier ? On ne sait.

Cette danse d'autofictions qui ne se veulent pas autobiographiques, d'êtres déconstruits évoquant ceux qui ne se sont jamais construits, d'attaques, d'esquives et de parades, cette farandole d'accusations et de dénis se déroule sur scène. Une scène entourée par des journalistes, des critiques, des personnalités médiatiques en tous genres, des éditeurs et des gestionnaires . Ou alors un tribunal. Ca aussi, c'est une scène. Mais où sont les juges, le procureur et l'avocat, les jurés ? Et quel code, pénal ou autre, fera référence?








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Commençons par les points positifs. L'autrice a une très belle plume avec un style particulier à la fois agressif et percutant mais un peu trop travaillé pour me prendre aux tripes. Tout ce qui concerne le système judiciaire est juridiquement exact et ça c'est assez rare pour être souligné (j'ai appris par la suite que l'autrice était avocate, ceci explique cela).

Voilà fini pour le positif parce que je suis en colère. Attention coup de gueule en vue.

Ça sent à plein nez la bourgeoisie qui se rebelle. C'est manichéen et bourré de stéréotypes et de préjugés. Ça ne marche pas, d'autres ont critiqué la société et ses injustices avec tellement plus de sincérité. C'est subjectif, mais je trouve que tout dans ce livre sonne faux.

Je n'aime pas les sous entendus : naître pauvre dans une cité c'est être condamné d'avance. le livre prône la compassion pour un meurtrier parce qu'il n'a jamais eu de chance dans la vie mais méprise celui qui est fier d'avoir un travail. Même si c'est un travail ingrat il a le droit d'en être fier et de ne pas avoir honte de ne pas avoir pu accéder à « mieux ». Ce n'est pas pour autant une défaite. On en est presque à encenser celui qui a tué comme étant celui qui a fait preuve de grandeur, celui qui ne s'est pas trahi.

Expliquer que quand quelqu'un tue la société et les injustices peuvent y être pour beaucoup oui, le dédouaner de toute culpabilité non ! Évidemment que notre société créé des tueurs, des dealers, des paumés par son fonctionnement. Évidemment c'est injuste mais non ça ne légitime pas un meurtre. Rappelez vous dans Germinal le grand-père qui sous le poids de la pauvreté et de l'injustice étrangle cette pauvre gamine. Ça c'était un message fort. Là on ne sait rien des personnages, le contexte est à peine ébauché. S'attaquer à une telle question avec si peu ne m'a pas convaincue.

Les personnages justement : aucune volonté, combativité, personnalité, des ersatz de gens des cités. Ceux qu'on voit dans tous les reportages racoleurs. L'autrice a sans doute voulu provoquer mais c'est tellement gros que ça en devient pathétique. Je la rejoins sur certains points sur le fonctionnement du système judiciaire mais de là à jeter le bébé avec l'eau du bain... Et puis c'est vindicatif, agressif, mais aucunement constructif. Encore une fois on sombre dans la caricature. Tous les avocats, procureurs, juges, ou personnel des tribunaux ne sont pas des nantis, des fils ou filles de, ils sont majoritaires oui, mais certains viennent de la fange n'en déplaise à l'autrice. Un peu de nuance n'aurait pas fait de mal.

Ce livre je l‘ai vécu comme une insulte aux gens des cités. Je n'aime pas ce qu'elle a fait d'eux : des criminels et des parasites qui vivent aux crochets de la société, des familles dysfonctionnelles ou personne ne vient tirer personne vers le haut. Des gens sans fierté sans combativité sans rêves. Ce ne sont que des stéréotypes. J'ai trouvé ça méprisant et sans nuance. Et les autres alors ?

Je ne connaissais pas l'autrice je suis allée voir son profil, ça n'a fait que renforcer mes impressions. Je ne suis pas prête de renouveler l'expérience.

Je salue mes babels copains qui ont eu un tout autre angle de vue sur ce livre Anna (@AnnaCan ) et berni (@berni_29). Je vous invite à aller les lire parce que c'est ça aussi la magie des livres : autant de livres que de lecteurs. Et puis l'esprit critique ayant toujours faim, c'est tellement mieux d'avoir des avis divergents ;-)
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critiques presse (9)
LaLibreBelgique
09 mai 2023
Constance Debré dresse le portrait d’un Raskolnikov moderne. Sans les remords.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeDevoir
07 mars 2023
Dans un appartement modeste d’une banlieue française anonyme, une femme gît sur le plancher, poignardée de 10 coups de couteau. C’est son voisin, un jeune homme de 19 ans qui l’aidait régulièrement à faire des courses, qui l’a assassinée...
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeJournaldeQuebec
20 février 2023
Constance Debré a longtemps été avocate avant de tout laisser tomber pour prendre la plume à temps plein. De ce fait, elle connaît bien l’autre côté de la médaille, celui qu’on n’a pas l’habitude de montrer parce qu’il n’est guère très reluisant.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeMonde
13 février 2023
Débarrassée de ce qui l’encombrait par cette trilogie autobiographique estomaquante et parfois irritante, c’est à rien de moins que la question du Bien et du Mal (elle ne met pas les majuscules ­requises par ces graves affaires mais c’est tout comme) que l’autrice s’attaque à travers Offenses.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaPresse
06 février 2023
Avec Offenses, la Française Constance Debré entame un nouveau cycle qui se détache de l’inspiration autobiographique de ses précédents romans (Nom, Love Me Tender, Play Boy). Mais derrière les lignes se dessinent à gros traits les positions de cette ancienne avocate qui va jusqu’à écrire que « le droit est une farce ».
Lire la critique sur le site : LaPresse
LesInrocks
03 février 2023
Constance Debré signe Offenses. Un court texte aux allures de "J'accuse" radical et salutairement dérangeant sur la misère et les injustices.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Bibliobs
03 février 2023
Dans « Offenses », l’ex-avocate se détache de l’autofiction et s’en prend au système judiciaire et aux lois des hommes.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeSoir
03 février 2023
Constance Debré bouscule quelques idées reçues sur la justice dans son nouveau roman.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Lexpress
31 janvier 2023
Offenses raconte le procès d’un jeune de banlieue accusé du meurtre d’une octogénaire. Une histoire banale qui tourne au drame : ayant à s’acquitter d’une dette de shit, le garçon entend subtiliser la carte bleue de la vieille dame, mais celle-ci se défend, et la frappe de dix coups de couteau.
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Vous ne tuerez point. Mère de toutes les lois, mesure de toute morale, de tout contrat, de toutes les règles, de tous les codes. Il n'y a pas de contrat qui vaille. Il n'y a pas de loi qui tienne. Vous ne tuerez point et pourquoi pas. On ne sait plus quoi en faire des hommes tellement il y en a. Où les loger, comment les nourrir, les occuper. C'est comme une maladie la vie humaine, une infection. Rien d'admirable dans le principe. Rien de glorieux dans l'application. Il faut voir l'usage qu'on fait des vies. Comment on traite les corps et les âmes, les siens ou ceux d'autrui. Il suffit de voir ce que ça raconte un homme, à quoi ça ressemble, il suffit de regarder, de regarder vraiment. Il suffit de voir les hommes quand ça parle ça rit ça bouffe ça baise ça crève, Comment ça se parle entre eux, les hommes les femmes les familles, ceux qui s'aiment prétendument, ceux qui s'aiment comme ils disent tout le temps. Il suffit de voir comme c'est laid, les hommes les femmes les riches les pauvres, les horreurs que ça dit, que ça fait un homme. Sacrées ces choses-là, dans le principe et dans l'application, à l'infiniment grand ou à l'infiniment petit, je ne vois pas, Le respect que ça commanderait, je ne vois pas. Je vois même le contraire si on regarde vraiment.
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Ca ne plait pas à tout le monde, ca ne plait pas au monde que les coupables soient comme les victimes, ce que voudrait le monde c'est une race à part qui serait la culpabilité toute entière, ca se verrait dans le corps et l'âme, ca ne ressentirait rien un coupable. Ce que veut le monde ce sont des coupables qui ne lui ressemblent pas , qui lui disent que lui le monde n'est pas coupable, c'est à ca que servent les coupables.

(pp.42-43)
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Vous marchez sur nous, je ne sais pas si vous savez. Non je crois que c'est quelque chose que vous avez oublié. Vous vivez de nous, nous sommes le prix de ce que vous êtes, vous ne vous posez pas la question. Vous savez bien pourtant que toute chose a un prix, que c'est comme ça que marche le monde.
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Un homme doit payer pour tous les hommes. Ca ne résout rien puisqu'il n'y a pas de solution mais ca doit advenir, on n'y peut rien, ni celui qui tue ni celui qui est tué.

J'ai tué la vieille mais j'aurais pu tuer n'importe qui comme j'aurais craché au visage de n'importe qui . Il n'y a pas d'innocents.


(pp.29-30)
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Sacré ils disent sans savoir ce qu'ils veulent dire. Si c'était sacré ce ne serait pas comme ca que se passerait l'existence. Si c'était sacré on n'aurait pas la vie qu'on a. Si c'était sacré la vie on sentirait à quoi ca oblige. Ca obligerait tous les hommes tout le temps, le sacré, si la vie l'était comme ils prétendent.

(pp.50-51)
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Constance Debre vous présente son ouvrage "Offense" aux éditions Flammarion. Entretien avec Sylvain Arrestier.
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