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Critique de Patsales



J'étais persuadée d'avoir déjà lu Robinson Crusoé. Ah, bien sûr, j'ai avalé les réécritures de Michel Tournier et sans doute 2 ou 3 versions jeunesse. Mais j'ignorais tout de l'original dont les aventures ne se réduisent pas à sa longue reclusion sur une île qui d'ailleurs ne porte aucun nom. Oui, quand on s'aperçoit que Robinson vient d'être recueilli par un navire alors qu'on n'est qu'à grand peine à la moitié de ses aventures, on se dit que ça va être long. Et de fait, oui, on baille pas mal, surtout vers la fin.
Mais quand même ! La puissance du mythe est incontestable, d'autant plus qu'il naît dans ce qui pourrait s'analyser comme un condensé du Xviii ° siècle. Defoe reprend le canevas du roman picaresque (Un roman picaresque se compose du récit censément autobiographique d' un jeune homme en rupture de ban, vivant des aventures souvent extravagantes au cours desquelles il entre en contact avec toutes les couches de la société). Il y ajoute l'Encyclopédie: Robinson recrée le monde civilisé en reprenant toutes les techniques de son époque et que ce soit en matière de fromage de chèvre, de génie civil ou de création vestimentaire, il dresse un incomparable panorama du génie humain. À cela s'ajoute une longue réflexion sur la Providence par laquelle Robinson s'efforce de justifier son sort. Il attend un bateau et non pas Godot et pour ne pas devenir fou s'accroche à la rationalité. Bien sûr que son sort se justifie, qu'il mérite d'avoir été puni par Dieu, étant donné les épouvantables péchés par lui commis! Bon, le lecteur se dit qu'il s'est fait avoir et qu'on lui a sucré la description de toutes les turpitudes dans lesquelles son héros s'est vautré; mais, plus vraisemblablement, les péchés ne sont invoqués que pour que Robinson se sente appartenir au grand dessein divin et non expédié loin de tout tel une crotte de nez négligeable.
Mais ce qui fait surtout de Defoe un écrivain des Lumières, c'est l'égalité qu'il professe entre les hommes. Ben si. Oui, bien sûr, les Noirs sont des cannibales même pas fichus de respecter la syntaxe anglaise et Vendredi pose le pied de Robinson sur sa propre tête pour montrer sa pleine conscience de la supériorité de l'homme blanc. Faut pas rêver, ce livre a été écrit il y a 3 siècles. Mais Defoe a une capacité incroyable à dépasser bien des préjugés de son temps - et du nôtre. Par exemple, il explique que si le cannibalisme est vraiment horrible, ce n'est finalement pas pire que les crimes de l'Inquisition. D'autant plus que les sauvages ont le bon goût de ne manger leurs ennemis qu'après leur mort alors que les inquisiteurs ne manquent pas de les torturer avant! Parole de protestant en haine des papistes? Même pas: c'est à un prêtre français que Robinson confiera le soin de catéchiser son île.
Car après avoir recréé la civilisation à lui tout seul, Robinson observera comment l'homme fait société en retournant sur une île désormais habitée et partagée entre natifs, Anglais et Espagnols. Il est clair que l'île correspond à l'Eden où Dieu plus malin que la première fois a envoyé à son Adam non une Ève tentatrice mais un serviteur asexué (C'est sidérant de voir à quel point personne ne s'intéresse au sexe dans cette histoire). Quand la population de l'île s'accroît, Robinson se fait Dieu, envoie de l'aide et prêche la bonne parole, puis s'esquive et abandonne tout ce beau monde comme une espèce de mise en abyme de la création. Les mecs, je comprends que vous comptiez sur moi, mais j'ai autre chose à faire dit Robinson-Dieu en substance.
Robinson abandonne son île comme il a abandonné ses parents puis ses enfants et après avoir vécu à l'Ouest part à l'Est où là, je l'admets, s'étale un racisme décomplexé et du coup presque drôle contre les Japonais cruels, les Tatars brutaux et les Chinois prétentieux. Mais qu'est-ce qu'il leur passe aux Chinois ! D'ailleurs, dit-il, ils ne seraient même pas capables de défaire une ville comme Dunkerque...
Et le roman s'arrête, pourquoi là ? Si Defoe donne finalement une égale dignité aux sauvages et aux civilisés, il ne supporte pas ce qu'il considère comme un entre-deux autant éloigné de la nature que de la culture. C'est pourtant dans cet Est honni que Robinson prendra une leçon d'humilité : lui qui, après avoir chanté les vertus régénératrices de son île, s'en est tiré vite fait dès qu'il l'a pu, a rencontré un exilé à qui il offre la possibilité de revenir chez lui. Mais l'exilé a chanté les vertus du renoncement et s'y tient: lui reste dans sa prison.
La toute dernière partie du livre est donc bien détestable : Robinson y renie son refus du fanatisme, il a troqué sa caravelle pour une caravane et son aventure sombre dans la mauvaise foi. Il était temps que ça s'arrête.
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