AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de VincentGloeckler


« C'est si bon d'être semblable, d'être conforme. Pourquoi devrait-on jouer au malin avec la vie ? ». Cette question que se pose la narratrice au mitan du roman, toute son existence y répond, avec beaucoup de fantaisie souvent, plus gravement parfois quand elle remet en cause le déroulement linéaire du temps, célébrant justement les écarts, l'anticonformisme, les chemins de traverse, les pieds-de-nez adressés à l'attendu, l'incongruité quelquefois des éternels retours. Au début du récit, alors qu'ils assistent à la Mairie à un concert de Noël avec leurs classes de maternelle, la narratrice, une petite fille de quatre ans, répond à la singulière déclaration d'amour – « Je t'aime, parce que tu as les yeux ronds » - d'un garçon inconnu par une fin de non-recevoir plutôt brutale – « Je ne t'aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers ». Mais la scène a eu lieu sous le lustre imposant de la salle des mariages, et notre héroïne prend conscience d'emblée qu'elle est à tout jamais liée à cet autre enfant, qu'ils sont désormais comme « officiellement fiancés », et que, si, comme dans une répétition musicale, on pouvait tout reprendre à la première mesure, alors, en répliquant différemment à l'aveu du garçon, c'est une autre histoire qui s'écrirait… Ce garçon, Etienne, elle le retrouve à l'entrée au lycée, membre comme elle de l'orchestre scolaire, adolescent timide transformé par l'amour flamboyant de l'incandescente Antonia, désormais obnubilé par sa recherche de la « transe ». Elle le croisera, encore, des années plus tard, errant désespéré dans une rue de Paris, portant dans ses bras Rita, le bébé de sa compagne décédée. Et, enfin, six ans encore après, en gigolo discret, gagnant sa vie auprès de quelques vieilles femmes en mal de relations sexuelles… Autant peut-être d'occasions manquées, même si elle-même aura vécu toutes les vicissitudes de l'amour, décevant la passion de Vincent, son ami d'adolescence, pour vivre un temps avec Martin, le frère d'Etienne, puis rencontrer Yves, avec qui, elle se mariera, avant de le quitter, puis de le retrouver…Rythmé par les rencontres entre elle et Etienne, « l'éternel fiancé » jamais étreint, mais aussi par les différentes expériences musicales qu'elle aura connues, du quatuor familial qu'elle composait avec des deux soeurs et son père, dans l'enfance, à ses recherches sur un prestigieux chef d'orchestre contemporain, en passant par les mois d'apprentissage, entre cours et orchestre, au lycée, le récit déroute autant qu'il enchante par sa structure discontinue, ses sauts narratifs d'une scène pleine d'émotions à une autre, selon une logique que semble résumer au mieux cette leçon d'esthétique – voire d'éthique ? – d'Antonia la magicienne à son amant Etienne : « L'espace est partout, m'expliquait-elle. Entre l'inspiration et l'expiration, il y a de l'espace, entre deux clignements de paupières, il y a de l'espace, entre deux mots, entre deux lettres, entre deux sons. Rien n'est collé. Rien n'est continu. Et quand tu coupes, recoupe et coupe encore ! Entre deux de mes cheveux, il y a autant d'air que dans le ciel au-dessus de ta tête »… Agnès Desarthe n'excelle jamais tant que dans cette évocation des moments forts de l'existence, chargeant d'érotisme une scène de rencontre amoureuse, racontant avec un humour féroce la visite d'une exposition d'art contemporain, teintant de légèreté et d'allégresse la journée de la petite Rita avec son arrière-grand-mère, mélangeant les couleurs de la joie et de la mélancolie pour décrire le temps d'un mariage ou d'un enterrement, distillant tout au long du texte les charmes de son écriture. Pour nous inviter, là, nous aussi « au centre » de son roman, à accompagner sa narratrice dans sa conscience de la fluidité du temps, de la fugacité des choses : « Je suis au centre. À gauche, mon passé, à droite mon avenir, et moi, au milieu, au présent, à l'invivable présent. Ce temps que la musique ignore »… Oui, on ne s'en lasse pas de sa flûte de conteuse, on la suivra encore bien loin, Agnès Desarthe l'ensorceleuse !
Commenter  J’apprécie          140



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}