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Critique de JulienDjeuks


L'univers de la piraterie possède un immense potentiel de projection et de rêverie. Il suffit pour s'en convaincre de penser au succès planétaire du manga One Piece (1997→?) de Eiichiro Oda, qui élabore un monde fantastique à partir de l'univers des pirates dont il reprend certaines figures comme le terrible Barbe-Noire. Voyage, aventure, chasse au trésor, fraternité de l'équipage, immensité des océans, risque, orages, amour, batailles, excentricité du vêtement et liberté de l'impertinence… marginalité criminelle ou rebelle… le pirate est-il une mauvaise personne qui plaît ou parfois une espèce de Robin des bois attaquant les flottes coloniales et impériales (comme évoqué par Kalikratès s'adressant à Eugène Buskes) ? le pirate, son corps balafré, témoin d'un vécu lourd d'expérience, son humeur imprévisible qui fait peur et possède en même temps un charisme spécial, qu'on pourrait rapprocher de celui du vampire. On pourra aussi penser au personnage de Végéta dans le manga Dragon Ball d'Akira Toriyama, personnage a priori négatif, colérique, orgueilleux, revanchard, machiste, ambitieux, détestant la défaite… mais choisissant finalement le bien en dernier recours, comme Robert Surcouf qui épargne les otages.
Cependant, c'est là peut-être le point faible de ce recueil qui ne donne que peu de place aux aventures en haute mer. Mis à part l'abordage de « La part du diable » (qui aurait plutôt trouvé sa place au début du recueil, en tant que scène la plus attendue, au lieu de suivre un ordre chronologique peu pertinent). Seul le journal d'Anne Bonny tente de faire passer le goût du voyage, dépeint la vie et les aventures à bord. Stéphane Descornes raconte finalement peu les scènes d'action, évasions – autre topos de la piraterie – à l'exception également du récit d'Israël Hands. La fuite de la belle femme de Fondi est également sans danger.
Au lieu de scènes d'action attendues, l'auteur s'intéresse davantage à la confrontation du pirate et d'une personne extérieure au monde de la piraterie. Cette dernière porte en quelque sorte le regard et la parole du lecteur dans une sorte d'entrevue permettant de faire connaissance avec ces étoiles de la piraterie. Qui étaient-ils donc ? le titre fait allusion aux différents statuts : les pirates ou forbans sont des criminels n'agissant que pour leur compte, les corsaires ont l'autorisation de leur seigneur ou roi pour attaquer les navires ennemis, les flibustiers sont des pirates qui ne s'en prennent volontairement qu'aux troupes espagnoles et portugaises et qu'on laisse donc agir.
Ces personnages demeurent mystérieux et leur vie, leurs actions, leur mode de vie alimentent l'imaginaire. Pourquoi Laffite a choisi de venir en aide au gouverneur de la Nouvelle Orléans ? Aucun des récits ne retrace toute une vie à l'exception sans doute du journal d'Anne Bonny. Dans la plupart, Descornes a pour but d'éclaircir ou d'exploiter un point particulièrement mystérieux de la légende qui court sur chaque figure. Par cette accroche il donne une petite entrée sur la légende : le témoignage d'Israël Hands décrivant son capitaine lui tirer dans la jambe ; l'enfant qu'aurait eu Anne Bonny ; l'évasion de Duguay-Trouin ; comment s'est évadée la dame de Fondi, le procès pour diffamation intenté par Henry Morgan…
D'autre part, Descornes s'intéresse à la construction de ces légendes. Confronter Morgan à son chroniqueur Oexmelin, le journal de bord d'Anne Bonny, le jugement des pirates de Barbe-Noire… et bien-sûr la création totale de la légende de Monbars l'Exterminateur, par le mensonge, la colportation d'une rumeur… Dans l'espace d'inconnu laissé par la légende, l'auteur peut laisser courir son imagination, sa fantaisie, sa connaissance ou sa vision du personnage, de l'humain, du sens que porte le personnage. Un peu à la manière des Vies imaginaires (1896) de Marcel Schwob, Stéphane Descornes fait un exercice de fictionnalisation de ces personnages de légende, de bio-fiction, cherchant à faire entrer le lecteur dans l'intime, faire entendre la parole, faire voir, toucher, sentir… là où les chroniques en restent trop souvent à la succession d'événements.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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