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Critique de Kirzy


Kirzy
05 septembre 2022
Rentrée littéraire 2022 # 12 °°°

Ça démarre par un post instagram injurieux. Oscar, écrivain qui a eu son heure de gloire, dézingue le physique de Rebecca, actrice culte quinqua dont le physique de bombe sexuelle a très mal vieilli selon lui. La réponse de Rebecca est cinglante : « Cher connard (...) j'espère que tes enfants crèveront écrasés sous un camion et que tu les regarderas agoniser sans rien pouvoir faire et que tu les regarderas agoniser sans rien pouvoir faire et que leurs yeux gicleront de leurs orbites. » S'ensuit un surprenant – presque utopique - échange épistolaire qui prend de l'ampleur lorsqu'Oscar se fait metooïser ( pour harcèlement sexuel ) par son ancienne attachée presse, Zoé Katana, désormais à la tête d'un blog féministe très suivi sur les réseaux sociaux.

Virginie Despentes a le sens des formules et sent incontestablement l'époque. le personnage de Rebecca, flamboyant mauvais sujet, jubilatoire avec son humour trash et cash qui ne s'excuse de rien ( difficile de ne pas penser à Béatrice Dalle ) offre les meilleurs passages, c'est elle dont on attend la voix et l'entend le mieux, c'est avec elle que le fun arrive et qu'on se marre.

Après un démarrage drôle et punchy, j'ai cependant trouvé que le récit s'amollissait jusqu'à un certain assoupissement, comme si la forme épistolaire, telle qu'elle est utilisée par l'autrice, était responsable de cette mollesse. Les lettres que s'envoient Oscar et Rebecca sont très longues et tournent vite aux monologues statiques qui auraient plus leur place dans un essai. Il manque de la vivacité à leurs échanges, ainsi que des volte-face toniques.

Clairement, ça ne décoiffe pas assez. Les thématiques abordées sont très nombreuses ( les divisions du féminisme, MeToo et harcèlement sur les réseaux sociaux, patriarcat et capitalisme, les transfuges de classe, addictions à la drogue dure et à l'alcool, Narcotiques anonymes, COVID et confinement ). Leur traitement en saillies fourre-tout laisse malheureusement peu de place à autre chose que du survol déjà-lu même s'il y a d'excellents paragraphes.

En fait, la radicalité de Despentes ne réside pas là où on l'attendait. Sa radicalité naît dans la façon dont elle conduit le dialogue entre Oscar et Rebecca, puis avec Zoé. Dans Cher Connard, on ne se lève plus et on ne se casse plus, on se parle, on discute et on concilie. Rebecca et Oscar vont devenir amis.

A une époque usée et irrémédiablement divisée par l'hystérie de débats sans fin où chacun milite fanatiquement pour sa propre parole, où chacun est convaincu d'être du bon côté de la morale, aveugle et sourd à la parole de l'autre, ça fait un bien fou de voir un homme et une femme a priori irréconciliables s'accompagner pour évoluer, grandir, apprendre à comprendre l'autre en osant tomber le masque. Ça fait du bien de voir un personnage masculin s'interroger sur sa masculinité au point d'être désormais capable de changer de perspective et de se mettre à la place de la femme qu'il a harcelée.

C'est peut-être cela qui est le plus subversif venant de quelqu'un comme Despentes : que le salut des personnages féminins ne viennent pas d'un refuge dans la sororité ou dans un féminisme consolateur, ici présenté comme éclatée en chapelles rivales se taclant les unes les autres. On devine qu'elle a mis beaucoup d'elle dans ces personnages, féminins comme masculin, bien loin d'une guerre des sexes stérile. Loin d'être fadement consensuel, c'est l'ode à l'amitié homme-femme qui m'a semblé le propos le plus intéressant, surprenant et radical de ce roman parlant avec justesse des paradoxes de notre époque.
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