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Critique de Melville75


Après avoir lu « Gueules d'ombre » paru il y a un an et demi, j'attendais ce deuxième roman avec une certaine curiosité, l'envie de voir où l'auteur mènerait sa plume après sa fresque guerrière précédente. Et j'ai été à la fois conquis et un peu déçu par ce livre. Commençons par les déceptions : « Jusqu'à la corde » reprend le même univers que le premier roman, même géographie de fiction, même genre de noms de personnages un peu bizarres, et aussi la même temporalité contrariée. On ne sait donc toujours pas où ça se passe ni quand, dans un monde parallèle et situé visiblement après « Gueules d'ombre », même si la vie d'un des personnages commence avant, puisqu'il participe aussi à la guerre de tranchées à un moment de sa vie. Bref, la relative déception vient du fait que, forcément, il n'y a plus l'effet de surprise du premier livre, avec cette Mitteleuropa fantasmée et cette guerre ambiance 14-18 reconduite dans une période plus proche de notre contemporain (même si pas tout à fait). Pour autant, si les deux livres ne sont pas reliés l'un à l'autre et peuvent se lire de manière indépendante, cette déception est aussi paradoxalement une forme de plaisir de lecture : celui de se retrouver en terrain familier même s'il est toujours un peu flou et d'apprécier de reprendre ses marques à cet endroit. Donc, sentiment ambivalent là-dessus. Ensuite, petite déception aussi parce que l'auteur reprend un peu les mêmes procédés d'écriture, même si, après tout, c'est peut-être aussi sa façon de faire des romans, en mélangeant différentes lignes narratives et en mettant l'accent sur les personnages. C'était un peu différent de la production habituelle avec « Gueules d'ombre », et même si ça fonctionne (là n'est pas le propos), c'est un peu moins original une seconde fois. Mais… !
Et c'est là quand même ce qui compte au final : le roman tient la route, l'intrigue policière qui sert de conduite générale est bien suivie, avec des questionnements et des indices, des impasses et des moments de relance, des épisodes vus de manière différente, et on ne s'attend pas forcément à la fin et au décalage de positionnement de personnages qui prennent petit à petit forme sous nos yeux. le thème de l'absurdité de la guerre était derrière le premier roman, et cette fois, il n'est plus qu'un passage de l'histoire, pour mettre plus en avant une société occidentale politiquement instable et principalement blanche, dans laquelle un personnage noir va chercher à se faire une place, malgré le racisme ordinaire, et après avoir fui un système ségrégationniste (on pense à l'Afrique du Sud jusque dans les années 80, mais plus encore aux Etats du Sud américains jusque dans les années 60). le roman est découpé en trois lignes, celle de l'inspecteur de police, Filem Perry, un vieux flic proche de la retraite, et de son collègue, jeune gars sorti de l'école qui vont enquêter sur la mort suspecte d'un enfant, celle des différents protagonistes de cette affaire dont on va avoir le portrait progressivement, et celle d'une sorte d'ombre qui plane au-dessus de cela pendant tout le livre, avec la figure d'une sorte de patriarche, Arkan Neria, à la vie complètement folle, jusqu'à la réunion finale des trois lignes. On pourrait aussi parler d'autres questions venues à la lecture, la place des pères vs celle des fils dans le livre, mais aussi la présence des chiens, compagnons de plusieurs personnages et la question de l'animalité par rapport à l'humanité. Ou encore la société décrite, sortie de la guerre mais sans en tirer les leçons politiques et sociétales et qui finit par se préparer à une autre guerre.
Si la surprise ne joue plus autant sur l'univers dans lequel l'histoire se passe, Destremau parvient à nouveau à composer un roman complexe, une vraie fresque d'instants de vie et de destinées singulières, et là-dessus le roman est une réussite indéniable, ce qui n'est pas toujours simple pour un deuxième livre. C'est encore un livre inclassable, à la fois roman policier ou noir comme on voudra, et roman de littérature blanche plus classique. Ce n'est pas le premier à utiliser les ressorts du polar pour composer un roman qui n'est pas dans les canons du genre, évidemment, mais il y parvient bien et on est pris dans la lecture et porté par des personnages travaillés, hommes ou femmes. Donc globalement, un bon bouquin, qui emporte et nous mène dans son univers. Et qui mérite les presque 5 étoiles.
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