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Critique de Chri


J'avais lu quelque part que John Dewey (1859-1952) était un philosophe particulièrement important pour Barack Obama. Rien que ça, méritait d'y regarder de plus près, et puis au cours de cette lecture j'ai reconnu aussi des tonalités de la sociologie de Pierre Bourdieu, etc... En tous les cas, le pragmatisme de Dewey est d'une étonnante profondeur qui vaut le détour.
Partant d'une simple logique de pensée, l'enquête, ces écrits politiques éclairent un nombre incroyable de problèmes dans les domaines de l'économie, l'éducation, la culture, les relations internationales, le droit, la politique. Des problèmes aussi concrets que le chômage, le crack boursier, la prohibition, la dictature et la guerre bien sûr car ces essais se déroulent sur toute la période de l'entre-deux-guerres.
Il faudra se débarrasser du préjugé d'anti-américanisme qui associe pragmatisme et esprit mercantile. On peut juste dire que le pragmatisme est bien né aux États-Unis, du moins c'est le philosophe américain William James qui lui a donné son nom. Mais il est vain, même pour les patriotes américains, de chercher un esprit spécifiquement américain, sauf peut-être dans la persistance d'un esprit pionnier, en soulignant néanmoins que les ressources inexploitées sont plutôt humaines que matérielles, ce sont des millions de chômeurs.
Les écrits politiques de John Dewey sont animés par une foi démocrate, libérale, socialiste, mais il faut immédiatement faire attention aux mots. Dans cette période de l'entre-deux-guerres, Hitler sera élu démocratiquement, le socialisme désigne aussi bien le stalinisme, et le libéralisme est synonyme de capitalisme.
Historiquement, Dewey voit cette période comme une transition où l'on observe un désajustement entre des dispositions mentales anciennes et des conditions sociales nouvelles, le développement très rapide et concomitant de l'industrie, du commerce et de la science. Aucun de ces mots n'est un gros mot, mais il faut mener l'enquête. Et celle-ci est d'autant plus intéressante que cette transition aurait tendance à durer comme l'indique la mentalité néolibérale qui n'est apparemment qu'une persistance du libéralisme très classique de John Locke (XVIIème siècle).
La question de la liberté est centrale, et de là découlent les différentes conceptions du libéralisme.
Le libéralisme classique est une conception d'un droit de nature qui donne « une justesse intrinsèque, en ce qu'elle confère aux impulsions le droit de se traduire dans des actions directes » indépendamment de toute conséquence sur la vie sociale. Dans sa version économique, cela se manifeste par le déni des actions de régulation gouvernementale. La vie sociale n'est donc considérée que comme une opportunité à exploiter à des fins privées. Dans sa version politique, cela se manifeste par des monopoles de l'universel qui ne tiennent aucun compte de la réalité des chances d'accès à l'universel. John Dewey est rejoint par Pierre Bourdieu.
A chercher une conduite dans les antécédents, des lois de natures où doivent se dissoudre les individus, il s'en suit une indépendance entre la fin et les moyens. C'est de cette manière que s'insinuent dans les discours, les arguments justifiant la violence. C'est ainsi que le marxisme trouve la loi historique de la lutte des classes comme une fin en soi à la place de la démocratie qui reste à l'état de promesse. Dewey sera critiqué pour avoir analysé sous le même angle, la doctrine communiste et « le monde UN de Hitler » ou la généalogie du nazisme.
« La liberté comme fin ne peut être atteinte que par la liberté comme moyen...Il est devenu extrêmement clair que le mode de vie démocratique nous engage à un effort incessant pour abattre les obstacles que sont les inégalités de classe, de chance, de race, de couleur et de nationalité, qui rendent les êtres humains étrangers les uns aux autres ».
Dewey précise qu'il n'est pas communiste, mais il est socialiste et libéral. Libéral au sens de la recherche d'un « individualisme nouveau » dans un monde industriel dont il faut accepter le caractère de plus en plus « incorporé » ou globalisé. Libéral veut dire partisan du choix éclairé et de la puissance d'agir dans cette nouvelle individualité, qui ne peut jouir de cette puissance que s'il elle agit en accord avec le tout, retrouvant ici le pragmatisme de Spinoza.
Le socialisme qui est décrit dans ces pages en disant à peine son nom est profondément pragmatique. L'égalité des chances ne se limite pas à fournir des écoles. La liberté de pensée, l'esprit d'enquête c'est-à-dire la logique pragmatique, doit y être enseignée très tôt. On parle d'éducation et de politique culturelle. C'est ça la démocratie, à la base de la vie sociale, et non pas uniquement figée dans des institutions et dans un droit de vote, ou encore dans une promesse dont les dictateurs pourraient tirer le pouvoir émotionnel afin de précipiter un peuple dans la violence (violence qui ne se limite pas seulement à la répression ouverte).
Mais Il faudra bien que les conditions économiques changent dans le sens de l'intérêt commun, nous dit l'auteur. Autrement dit, « il faut affranchir le commerce de ce qui le rend captif des intérêts privés ». Très bien, mais tout cela doit se traduire en acte et je n'ai qu'une petite idée de la portée de ses écrits. Mais je dois dire que je suis assez touché par la justesse de ses réfutations notamment sur la scène internationale vis à vis de ses contemporains, Bertrand Russell (son anti-américanisme), Trotski (réponse à « Leur morale et la nôtre »), H.G Wells (son Etat-monde), Goebbels et Hitler, etc..
Le pragmatisme en appelle plus à l'intelligence qu'à la volonté, cette même intelligence qui est à l'oeuvre dans l'industrie, le commerce et la science. La logique d'enquête, c'est l'esprit scientifique appliqué spécifiquement aux sciences sociales. Ces écrits politiques ne livrent aucun système, juste un aperçu de la logique pragmatique à l'oeuvre sur des questions pratiques.
Le pragmatisme n'empêche pas « l'audace spéculative », mais il est opposé à l'idéalisme. Dans sa critique l'auteur débarrasse les différentes propositions philosophiques de toute « phraséologie impressionnante », ce qui rend ce livre heureusement assez abordable.
Parce qu'il faut répondre à des problèmes courants, la philosophie est l'étude des croyances courantes : la psychologie populaire, les doctrines sous-jacentes en politique, en économie, etc…
Je pense au genre de conception du monde, dont fait partie le darwinisme social, qui opère sous couvert de modernité, mais qui est en réalité en contradiction avec « L'origine des espèces » : voici pour l'intro de ma prochaine lecture de John Dewey, « L'influence de Darwin sur la philosophie ».
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