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Critique de Usurpateur


France, XVIIIe siècle.
Madame de la Carlière, jeune veuve que ses parents ont mariée de force à un vieil homme riche à l'âge de quatorze ans, prend pour second mari le Chevalier Desroches, à condition qu'il lui demeure fidèle. Cette exigence est (bien évidemment) jugée naïve par les contemporains du couple, qui n'hésitent pas un instant à dégainer leurs pierres métaphoriques pour lapider tour à tour Madame de la Carlière (dont « l'extravagance » lui vaudra l'appellation de « prude renforcée ») et le Chevalier (qui trompe effectivement son épouse, malgré son serment, et provoque indirectement la mort de celle-ci).

Cette histoire, racontée à travers un dialogue entre deux personnages étrangers à l'intrigue, oppose donc le public, la « foule imbécile, » aux protagonistes. J'ai presque envie de dire « ceux qui parlent à ceux qui agissent, » mais d'un, on ne peut pas vraiment dire que Madame de la Carlière « agisse » à proprement parler, et de deux, je n'ai pas envie de juger une foule qui juge de peur que la mise en abîme provoque une faille dans le continuum espace-temps (et de trois, je ne voudrais pas avoir l'air de dire qu'agir c'est mieux que parler, parce que c'est clairement faux.). Mais trêve de plaisanterie, reprenons sérieusement : la foule juge donc d'abord Madame, parce qu'elle refuse d'accepter ce que tout le monde semble considérer comme allant de soi (à savoir, l'infidélité), puis Monsieur, pour tout un tas de raisons de plus en plus absurdes, et de moins en moins en lien avec sa conduite (les circonstances amènent le public à le tenir arbitrairement responsable de la mort du frère, du fils et de la mère de sa femme).

Outre une réflexion sur la condition féminine, l'absurdité des lois et institutions ne faisant que brider les désirs naturels de l'Homme, c'est bel et bien une critique du jugement hâtif que Diderot nous présente ici. La foule est dans le récit une masse informe, moins composée d'humains que de moutons qui n'expriment pas la moindre opinion divergente, et ne prennent pas le moindre recul. On retrouve ici le fatalisme de l'auteur : juger l'action d'un homme n'a pas de sens, car la liberté n'existe pas.
Le narrateur condamne l'attitude de la foule sans pour autant excuser ceux qu'elle lynche, et c'est ce que je trouve être le parti pris le plus intéressant du livre, qui invite ainsi le lecteur à aiguiser son esprit critique et à forger sa propre opinion. Si Madame de la Carlière trouve grâce, en quelque sorte, aux yeux du narrateur, c'est parce que malgré ses défauts, son arrogance et sa vanité, elle a réussi à entretenir une vision du monde qui n'appartient qu'à elle. Même constat pour le Chevalier, qui avait déjà été abondamment critiqué bien avant son mariage, pour avoir quitté un travail qui lui donnait droit de vie et de mort sur autrui, une responsabilité trop lourde à porter – ce qu'on peut comprendre.

J'ignore si parler de « rédemption » est pertinent, ici. Mais il semblerait que ce qui sauve les deux protagonistes aux yeux du narrateur soit leur capacité à cultiver leur individualité. Une leçon à garder en mémoire pour toutes les grandes crises existentielles que ceux qui lisent – et donc se posent des questions – sont sûrs de connaître un jour.

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