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Critique de pixton


Voilà un roman-témoignage qui m'a laissé un profond sentiment de malaise. Je vais tenter d'expliquer pourquoi.

Les récits des soldats de "l'autre camp" ne sont pas rares, et ont le mérite de contrebalancer l'adage qui affirme que L Histoire est écrite par les vainqueurs. Cependant, peu de ces récits possèdent le souffle, l'envergure, l'ambition et les qualités littéraires du soldat oublié.
Cette oeuvre imposante souffre de certaines baisses de rythme et d'un style inégal. Mais il faut reconnaître le talent avec lequel l'auteur nous immerge en première ligne d'une guerre hallucinante, succession de batailles desespérées contre un ennemi sans pitié, contre le froid mortel, contre l'immensité russe, contre l'absence de ravitaillement et le délitement inéluctable de la wehrmacht. Nous suivons en sa compagnie la retraite sur plus de 2000 kilomètres de cette armée qui semblait invincible trois ans plus tôt.

J'ai donc refermé ce livre avec un sentiment de profond malaise. Ce ne sont pas les mots que j'ai lus qui ont provoqué ce malaise : ce sont ceux qui manquent.
Il est indéniable que l'auteur sait décrire les souffrances intolérables des soldats allemands, et qu'on peut difficilement ne pas compatir. La brutalité inhumaine de l'Armée rouge est puissament soulignée, et on ne peut la nier (elle est incontestable et documentée).
Mais un rappel historique s'impose. le 13 mai 1941, le maréchal Keitel (chef d'état-major de l'armée allemande, inféodé à Hitler) signa le décret Barbarossa. Ce document stipulait que la guerre à l'est serait une guerre d'extermination. Il amnistiait d'office tous les soldats allemands pour les crimes qui seraient commis contre les civils, les prisonniers de guerre ou les partisans russes (que l'auteur conspue abondamment, leur reprochant d'utiliser des techniques de guerilla et ne pas mener une guerre propre...).
Rappelons ici que la guerre à l'est a causé 20 millions de morts (estimation) dans la population russe, dont 9 millions d'enfants.
On sait aujourd'hui que la Wehrmacht a participé de manière active à de nombreuses exactions, et ce dès l'invasion de la Pologne. Tout cela est documenté, notamment dans l'ouvrage remarquable Les crimes de la wehrmacht de Wolfram Wette, sorti en 2009. On sait aujourd'hui que la wehrmacht a agi en compagnie des SS et des einsatzgruppen, ce n'est pas une supposition. Cela ne signifie pas pour autant que tous les soldats ont approuvé ces exactions. Mais les historiens estiment qu'entre 60 et 80 % des soldats sur le front de l'Est (sur un total de près de 10 millions) participèrent à des actes qualifiables de crimes de guerre.

Guy Sajer faisait partie d'une division d'élite, la Grossdeutschland, et ne quittait que rarement la première ligne. Il est vrai que ces crimes avaient lieu en général sur les arrières des lignes, et on pourrait avancer l'idée que les divisions les plus avancées ne savaient pas ce qui se passait plusieurs centaines de kilomètres sur leurs talons. Sauf que d'une part, étant donné l'ampleur, le volume inoui de ces violences, cela semble peu réaliste. Mais surout, il aurait été impossible de ne pas le savoir lors de la retraite, lorsque ces divisions de première ligne sont repassés par ces mêmes endroits envahis à l'aller... Tout comme il est difficile à croire que l'auteur n'ait pas même entendu de simples rumeurs.

Le fait que Guy Sajer (alias Guy Mouminoux, alias Dimitri) ait fait partie d'une division aussi prestigieuse que la Grossdeutschland doit faire tiquer le lecteur. On ne parle pas ici d'une division montée à la va-vite, mal équipée, mal commandée, qui recevait les restes de munitions et de ravitaillement, comme les divisions Roumaines et Hongroises, par exemple. Il s'agissait au contraire d'une des rares divisions qui n'était pas désignée par un numéro, mais par un nom, preuve de son immense prestige. N'importe qui ne pouvait y entrer, et de fait, Guy Sajer se porta volontaire (il ne s'en cache pas et relate en détail son entraînement). Pour suivre ses copains, et un peu sur un coup de tête. Pourquoi pas. Mais j'ai du mal avaler la légende vendue par la maison d'édition et par la presse, qui parle d'un engagé "malgré nous". Qu'il ne fut pas volonatire à la base, c'est possible, mais Guy Sajer, à aucun moment, ne cache son idéologie. Son témoignage prouve à de multiples reprises qu'il versait totalement dans celle du Troisième reich. Il ne conçoit pas que la France se trouve du côté des alliés et cela le révolte. Plusieurs fois, il fait part de ses regrets que les Français n'aient pas, selon lui, choisi le bon camp. Là non plus, aucun mot n'est dit sur les déportations, les délations, la Gestapo, les civils torturés, les résistants exécutés. On peut admettre qu'à l'époque, il n'avait pas connaissance d'Oradour-Sur-Glane, Tulle, Ascq, le Vecors. Soit.
Mais ce livre fut publié en 1967.

Les derniers chapitres décrivent une apocalypse cauchemardesque, dans laquelle l'auteur fait montre d'une grande émotion pour les civils allemands et notamment les enfants, piégés en compagnie de la wehrmacht en totale déroute. le lecteur ne peut que partager cette émotion. L'auteur, à juste titre, dénonce les actes condamnables de l'Armée rouge. de manière naive, il juge que les alliés de l'ouest menèrent une croisade aveugle et acharnée contre l'Allemagne. Pourtant, jamais il ne s'interroge sur un fait crucial : l'Allemagne a bel et bien mené une guerre d'agression et d'invasion contre la Pologne, la France, l'Angletterre, les balkans, l'URSS. Personne ne mérite le sort qui fut réservé aux civils allemands, ni même à ces soldats. Mais ce ne sont pas les alliés qui ont poursuivi la Guerre envers et contre tout, comme le laisse entendre l'auteur : c'est l'obstination de Hitler et de sa garde rapprochée, fanatiques, psychopathes jusqu'au boutistes qui préféraient voir leur peuple et leur pays détruit de fond en comble que subir la défaite. Ce Hitler que l'auteur ne condamne à aucun moment, prenant même sa défense.

Cette absence de regard critique ne peut que jeter une lumière obscure sur ce témoignage néanmoins important. Ce récit est ainsi l'un des meilleurs qui a été écrit sur le quotidien d'un soldat pendant la guerre de l'est (ou sur le quoitidien d'un soldat en temps de guerre, tout court).

En résumé, ce témoignage poignant de l'aventure post-traumatique d'un adolescent de 17 ans confronté aux pires batailles que l'humanité ait connue, est aussi le roman de la négation. Alors que les derniers survivants de cette époque disparaissent peu à peu, alors que de vieux spectres qu'on espérait oubliés resurgissent sur l'Europe et le monde, le devoir de mémoire devient plus que jamais une nécessité. le but de ce long article n'est pas le faire le procès absurde de l'homme qui a écrit ce document, mais d'expliquer que ce genre de livre doit s'accompagner impérativement d'une mise en garde, à tout le moins d'une explication de contexte.
Un impératif dont l'éditeur semble bien peu se soucier...



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