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Critique de popie21


Le Ventre de l'Atlantique c'est l'île de Niodior, île sénégalaise dans la région du Sine-Saloum. Sur ce morceau de terre battu par les marées les quelques habitants vivent essentiellement de pêche, d'agriculture vivrière et de rêves. Rêves d'évasion, rêves de richesse, rêves de sportifs adulés, tout les portes vers la France. Il reste à Niodior "une sorte de colonisation mentale". "À leurs yeux, tout ce qui est enviable vient de France."

L'héroïne, enfant illégitime, a fini par s'exiler et vit en France. Ce choix ne s'est pas fait de gaieté de coeur et elle ne vit que pour sa passion de l'écriture et pour son demi-frère Madické. Fatou Diome réussit à nous faire emprunter sa souffrance, sa double appartenance, elle est partout chez elle mais ne se sent nulle part légitime, Noire en France, égoïste et individualiste dans son village natal.

Madické est trop jeune pour comprendre et dédie tout son temps libre à sa passion, le football. Admirateur du joueur de la Squadra Azzurra Maldini, qu'il rêve de rencontrer une jour, il n'a d'yeux que pour la France et son équipe nationale composée de nombreux joueurs sénégalais. Lui et ses jeunes compagnons de jeu n'ont qu'un voeu : partir pour la France et y faire fortune. Les rares exilés rentrés avec succès au bercail, les poches pleines et la bouche conteuse, les poussent en ce sens.

Mais où est la vérité dans ce jeu de dupes ? Les hommes rentrés au village racontent-ils vraiment la façon dont la France, pays des Droits de l'Homme les a accueillis ? La vie en France est-elle aussi facile qu'il y semble ?
La soeur de Madické, elle, sait que le racisme y est toujours vivace, que le chômage y est bien présent et que, sans papiers et sans qualifications, la course à l'emploi est une chasse au trésor qui mène le plus souvent au poste de police. Après un petit séjour en cellule on vous remet finalement votre trésor, "une IQF, une invitation à quitter la France". Elle sait aussi que, "Blottis sous les ponts ou dans les dédales du métro, les SDF doivent parfois rêver d'une cabane en Afrique."

Aidée de Ndétare, l'instituteur du village qui tente sans repos de raisonner les jeunes de l'île, elle fait tout son possible pour que son petit frère adoré ne se trompe pas de chemin. Mais comment faire entendre raison à des enfants innocents ? Comment affronter son frère, ce jeune homme prêt à sortir ses griffes si on l'empêche de suivre son destin ?

C'est ainsi que Fatou Diome, utilisant adroitement sa propre expérience, aborde les différents problèmes liés à l'émigration et à l'immigration, sans langue de bois, sans épargner personne. D'une franchise absolue et avec beaucoup d'humour, elle dénonce aussi bien les indélicatesses de la France et son racisme perfide, que le poids du devoir qui accompagne la vie sur son île, une vie âpre et dédiée au partage. En comparaison, la vie occidentale et sa culture de l'individu libère des contraintes de la communauté mais en contrepartie confronte à "l'Ultra Moderne Solitude".

Le style de Fatou Diome est très abordable et sans fioritures, il a seulement manqué pour moi de fluidité et de constance : il est à la fois truffé de magnifiques perles telles :

"Pêcheur de fortune, il se sentait pris dans les filets du destin. Son horizon se liquéfiait sous ce longs cils noirs."

"Seul, face à l'eau, il dérivait comme une barque vers la mer noire de ses souvenirs."

"Sur ce coin de la Terre, sur chaque bouche de femme est posée une main d'homme."

"Le sentiment d'appartenance est une conviction intime qui va de soi ; l'imposer à quelqu'un, c'est nier son aptitude à se définir librement."

mais aussi de longueurs, entre autres sur le football qui occupe une grande place dans le roman. Non pas que je déteste ce sport (faux !), mais le résumé de la finale de la Coupe d'Europe France/Italie 2000 ne fût pas vraiment une sinécure pour moi... J'ai noté toutefois que c'était l'occasion pour Fatou Diome de dénoncer un marché juteux et une belle hypocrisie comme le recrutement de jeunes joueurs étrangers à qui on promet monts et merveilles mais qu'on renvoie sans scrupules et sans ballons dans leur pays d'origine s'ils ne tiennent pas leurs promesses. La peau noire est acceptable à condition de faire honneur au pays mais gare au faux pas ou de fabuleux français, vous redevenez juste Noir.

Bref, un bon premier roman avec de très belles choses et quelques longueurs qui me font baisser la note, mais "C'est un beau roman, c'est une belle histoire" et j'en recommande la lecture.

Je remercie chaleureusement mon ami aouatef79 qui m'a fait découvrir cette auteure vers laquelle je reviendrai sans hésitation.
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