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Critique de afriqueah


Renaud l'avait dit :
C'est pas l'homme qui prend la mer
C'est la mer qui prend l'homme
Fatou Diome nous le chante mille fois mieux : la mer, celle dont on prend ses enfants les poissons, et qui se venge en prenant les hommes, celle dont le ventre recueille les morts et fait vivre les pêcheurs, celle qui berce les palmiers et adopte les racines des palétuviers, celle qui gronde parfois et se gonfle, la mer/mère /ventre de l ‘Atlantique, me paraît le principal protagoniste du roman.
Elle représente, cette mère, la tradition basée sur la nécessité d'accueillir l'autre en son sein, sur l'amour bienveillant des grand mères, sur des dictons (parfois antédiluviens), et aussi tout le carcan des traditions patriarcales: la mise au monde d'un enfant hors mariage, le retour d'un immigré qui devrait rapporter richesses et honneurs, et qui n'ose pas dire ses espoirs déçus, son vécu illégal dans un bateau français,(en Atlantique Nord) sa prison, son rapatriement honteux, sa déchéance, enfin, l'amour non accepté par le père, l'amitié entre deux hommes jugée honteuse, tout cela est rejeté dans les flots.

La marée montait, dit l'auteur en s'exprimant par vagues répétées. La marée montait comme la rumeur, comme les mauvaises pensées, comme la tradition fixiste, intolérante, cette marée qui charrie la boue, jointe à la brise nauséabonde.
La marée monta.
Et emporta dans son ventre amer celui qui déçoit le village.

L'ile de Niodior , au large du Sénégal, ressemble, effectivement, à un petit ventre, entouré par les deux bras de l'Atlantique.
Fatou Diome tisse les rêves de son frère avec sa réalité à elle, et pour cela, elle parle de son ile et d'elle même, pratiquement dans la même phrase. Puis elle détricote au fur et à mesure ces rêves de venir la rejoindre, elle dont la subsistance dépend du nombre de serpillères qu'elle use, étant femme de ménage à Strasbourg et pas invitée par Louis XIV.

Elle épingle les faux espoirs des petits footballeurs du village, pensant tous devenir un Zidane. Elle épingle les footballeurs français complètement incultes et pourtant se croyant drôles. Elle épingle la polygamie, bien sûr, dangereuse par l'excédent de population pauvre alors que la terre et la mer ne sont pas extensibles. Elle épingle la fausse amitié européenne, parlant des négros dans leurs dos. …. Elle épingle les femmes de l'ile dont l'avenir est de se marier, d'enfanter des garçons, parce que les filles iront se marier ailleurs, à quoi ça sert de nourrir des bouches inutiles. Elle épingle la cupidité lorsqu'elle revient au pays, elle épingle les français portant bannière des sportifs africains, sans pour autant leur donner un statut fixe. Elle épingle le tourisme sexuel, venant « visiter des paysages de fesses noires, au lieu d'admirer le Lac rose, l'ile aux oiseaux, nos greniers vides et nos bidonvilles si pittoresques. »
Dans une langue chantante, digne de Youssou N'Dour, mettant toujours le doigt sur chaque faiblesse, et drôle aussi par son retour au plus important dans la vie : Cupidon, ou « lézard frétillant, » Fatou Diome nous parle de son ile natale, de l'appartenance, de la difficulté de faire racine dans un pays, pourquoi lui et pas celui de sa naissance ?

Choisit-on l'endroit où l'on nait ?
Choisit-on l'endroit où on veut vivre ? Ou n'est-on pas toujours trimballés entre les nostalgies et les envies de retour, l'amour du pays de sable blanc, et le désir de culture occidentale ? Comment choisir ? et d'ailleurs , est on obligés de choisir ?
La meilleure manière de parler de ce superbe livre, c'est de laisser la parole à l'auteur, dont le nombre de mes citations.
Petit bémol, les longues pages décrivant des matchs de foot, qui remplace le sport national, la lutte( Cf Aminata Sow Fall) et entraine des envies de s'expatrier basée sur des chimères de richesse.
Ne pas rester sur ce bémol, cette coquine de Fatou Diome nous pique souvent : devant les publicités de couple qui s'enlace devant une canette de Coca ( qui ne fera pourtant pas, dit-elle, pousser le Sahara) les enfants de Niodior se posent la question : qu'est-ce qu'il va lui faire ?
Réponse : « t'es idiot ou quoi ? il va la niquer ».
Allez, un verre de bissap, son arôme, son piquant, jus d'hibiscus délectable.
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