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Critique de Patsales


Court roman particulièrement dense, qui ne se contente pas -si j'ose dire- de dénoncer la violence de la guerre mais qui nous interroge sans jamais simplifier son propos sur notre humaine sauvagerie.
Nous entrons par effraction dans la tête d'Alfa, Africain non francophone dont la prose rythmique cherche à nous défamiliariser d'avec notre langue ("Frère d'âme" a reçu l'International Booker Price qui récompense à égalité l'auteur et sa traductrice); à nous faire perdre nos repères comme Alfa a perdu les siens: loin de son pays, de sa langue, et maintenant de son meilleur ami qui vient de mourir entre ses bras en l'insultant pour l'avoir laissé agoniser sans lui donner le coup de grâce.
Alfa va alors se raccrocher à ce qu'on attend de lui, puisqu'on l'a ramené d'Afrique pour épouvanter les Allemands: sauvage et éploré, il torture des ennemis et rejoue la mort de Mademba en espérant se racheter, car les ennemis, eux, il les égorge, pour à la fois leur faire connaître et leur épargner l'abominable souffrance de son ami. Il leur coupe aussi la main, rapportée dans la "tranchée" comme un trophée, ignorant qu'il reproduit la punition infligée par Léopold II, roi des Belges, aux esclaves insuffisamment productifs.
En effet, à la sauvagerie du Noir exotique que l'armée française a muni d'un coupe-coupe répond en écho celle des officiers qui font tirer sur leurs propres hommes pour asseoir leur autorité. Mais l'Afrique n'est pas exemptée de tout reproche: si Alfa s'est engagé, c'est aussi parce que les coutumes interdisent aux garçons et filles d'une même classe d'âge de tomber amoureux; et si Mademba est mort, c'est sans doute parce que les plaisanteries rituelles échangées entre un Diop (Mademba) et un Ndiaye (Alfa) l'ont humilié et rendu fébrile.
Le Sénégal désormais perdu où se réfugie Alfa en pensée n'est donc pas un paradis. Les filles ne peuvent y choisir qui elles veulent aimer et c'est cette cruauté originelle qui va ensauvager la fin du roman.
Alfa a rapporté 7 mains; le capitaine Armand a fait condamner 7 de ses soldats. Les 12 premiers chapitres racontent l'horreur des combats; les 12 suivants la paix à l'arrière? Mais l'humanité du docteur François ne peut plus rien pour Alfa l'homme fracassé, fracassé par la guerre mais dont les fêlures remontaient à son passé.
en refermant le livre, nous comprenons que la sublime langue du griot ne nous sauve pas du désastre.
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