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Critique de JustAWord


Second ouvrage des éditions Mü en cette année 2019 après l'excellent Livre Jaune de Michael Roch, L'autre moitié du ciel délaisse la forme longue pour la forme courte puisqu'il s'agit en réalité d'un recueil de onze nouvelles de la française Sara Doke.
Après son roman Techno Faerie en 2015, Sara propose ici un ouvrage engagé qui, plus encore que de féminisme, parle du droit à la différence et de tolérance dans une société moderne souvent oppressante.
Parmi les onze textes proposés, cinq sont des rééditions venues de Fiction et autres anthologies, et six sont des inédits offerts ici au lecteur curieux pour la première fois.
Traductrice (de Paolo Bacigalupi notamment), romancière…et nouvelliste, Sara Doke a-t-elle tous les dons ?

Il était une fois le féminisme
Comme on pouvait logiquement s'y attendre en regard de la personnalité de son autrice mais également de la promotion autour de l'ouvrage, les histoires de L'autre moitié du ciel parlent de femmes mais, surtout, de féminisme.
Si l'on excepte L'enfant sans nom et Camarade Petit Chat, toutes les nouvelles présentées ici implique des personnages féminins et s'intéressent à des problématiques féministes plus ou moins complexes.
Une bouffée d'air frais assurément qui permet de se plonger dans une série de textes à la fois originaux et engagés tirant le portrait de la moitié la plus sous-représentée de notre société moderne.
Souvent très personnelles, les histoires de Sara Doke parle de l'intime et de l'image de soi, du rôle de mère ou de guerrière (mais est-ce vraiment différent ?), de liberté d'être et de penser, de sensualité et d'humour même.
Pourtant, tout ne commence pas bien dans ce recueil. Pour preuve, La femme du miroir, un texte intimiste et quasi-introspectif qui, malgré sa poésie indéniable et son écriture limpide ne va pas bien loin.
C'est un peu la même chose pour Desperate Maratres qui, cette fois, part sur un postulat carrément génial — un club de femmes-trophées pour maris richissimes enfermées dans un mystérieux Complexe qui se réunissent pour programmer l'assassinat de leurs belles-filles — mais qui loupe le potentiel contestataire de la nouvelle pour en faire une histoire au twist ironique sans effleurer le véritable potentiel de son univers. Une lacune qui reviendra plusieurs fois dans les textes suivants.
L'autre moitié du ciel serait-il une déception ?

Légendes et contes à la rescousse
Heureusement, la suite rehausse le niveau. Particulièrement friande de légendes arthuriennes, Sara Doke s'appuie sur celles-ci pour livrer plusieurs histoires passionnantes qui revisitent le mythe à l'aune de la fragilité, de la féminité et de l'enfance.
Dans L'Enfant sans nom, c'est la fuite-quête d'un enfant touché par les fées qui émerveille le lecteur grâce à sa poésie au milieu des lochs écossais. Une poésie mise en sourdine le temps d'une autre histoire fascinante, Fata Morgana, où Sara Doke reprend à son compte la légende de la fée Morgane pour offrir un autre point de vue, plus héroïque et plus viscéral, sur l'une des femmes essentielles de la vie du Roi Arthur.
Mais c'est définitivement dans 333 où le talent de Sara Doke explose en rassemblant neuf femmes pour neuf destins et en discutant de ce qui a permis la domination des hommes. Au milieu de ces portraits, la française décrit la violence et l'injustice, la vieillesse et la jeunesse, la beauté et le malheur. Un hymne à l'émancipation qui demande d'agir pour modeler l'univers au lieu de le laisser glisser hors de portée.
En mêlant mythes et thématiques féministes, Sara Doke reprend la main sur un monde d'hommes qui semblent avoir construit l'univers à leur image, même la plus irréelle et fantastique dans le cas qui nous intéresse. le résultat s'avère délicieux d'intelligence et d'originalité.
Malheureusement, comme rien n'est jamais parfait, Sara Doke n'atteint pas cette même qualité lorsqu'elle tourne les contes traditionnels en dérision. Sneau et Anita Rossa ont beau être des boutades ouvertement assumées, elles n'en restent pas moins des textes anecdotiques revisitant simplement le mythe du Chaperon Rouge et de Blanche-Neige.

Laissez-moi exister !
C'est lorsque Sara s'embarque pour la dystopie qu'elle atteint de nouveaux sommets.
La longue nouvelle Lire ou mourir en est certainement la preuve la plus éclatante. Ici, un narrateur nous explique que sa vie tourne autour d'une activité désuète voire dangereusement transgressive : la lecture. Passionné par la science-fiction, voici que notre héros se retrouve la victime d'un régime totalitaire qui tente de contrôler les jeunes et la société en général.
Lire ou mourir esquisse les contours d'un futur asphyxiant et évite le name-dropping pour expliquer en quoi la boulimie des lecteurs de science-fiction, si décriée habituellement, devient une arme qui les prépare aux dangers à venir. Bouleversant et férocement engagé, la nouvelle nous ferait presque oublier le texte le plus brillant du recueil qui vient quasiment clore celui-ci.
Dans La Fille des Abjurés, Sara Doke imagine une congrégation de femmes qui n'acceptent que les femmes et rejette violemment les hommes, tous les hommes. Jusqu'au jour où une nouvelle arrivante leur explique qu'elles ne valent pas mieux que le patriarcat qu'elles combattent en agissant de la sorte. Ici, la française renvoie dos à dos les deux extrêmes et livre un vibrant plaidoyer pour le droit d'exister, tout simplement. Peu importe le sexe, le genre ou l'apparence, aucune généralité ne doit jeter l'opprobre sur une population entière et le premier pas vers l'acceptation de l'autre réside dans la capacité à toujours se remettre en question. Simplement brillant.
Pour parachever cette réflexion, Miroir de mon âme renoue avec la poésie et le sensuel pour livrer un texte où la femme redevient une seule et unique avec l'homme qui la tourmente tant. Envers et contre tout, Sara Doke offre le choix à ses personnages…et à ses lecteurs !

Globalement, on pourrait être déçu par L'autre moitié du ciel mais l'intelligence des nouvelles les plus longues et l'écriture toujours limpide et poétique de Sara Doke emportent finalement la décision finale. Voici un recueil certes inégal mais qui mérite largement votre attention, ne serait-ce que pour les réflexions qu'il offre sur la place de la femme et sa façon délicieuse de revisiter le mythe arthurien…et la dystopie !
Lien : https://justaword.fr/lautre-..
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