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Critique de Sachka


Russie de nos jours, Vladivostok. Un soir d'automne comme il y en a déjà eu et comme il y en aura tant d'autres, le soleil s'enfonce lentement dans l'océan derrière la palissade, les guirlandes scintillantes s'éteignent les unes après les autres, l'agitation du dernier spectacle de la saison fait place au silence, et de silence il est souvent question dans ce roman... le Vladivostok Circus semble perdu au milieu de nulle part et pourtant il est au milieu de tout, à la croisée des chemins, défiant du regard le pont de la Corne d'Or qui relie la ville de Vladivostok à l'île Rousski. Ce pont dont les piliers haubanés sont les plus hauts du monde, ses 2 pylônes qui culminent à 226 mètres de hauteur, véritables rocs faits d'acier et de béton, inflexibles, à l'image d'Anton et Nino les deux acrobates vedettes du Vladivostok Circus, silhouettes larges et musclées, les porteurs comme on les nomme dans le jargon du cirque, qui, chaque jour, répètent inlassablement leur numéro à la barre russe accompagnés de la belle Anna, ex-championne de trampoline reconvertie dans la haute voltige avec un rêve, un seul, celui de réussir le quadruple saut périlleux avant le festival d'Oulan-Oude qui doit avoir lieu durant l'hiver.

Dans ce récit le silence est un personnage à part entière, il s'invite pour nous laisser le soin de recréer un pan de l'histoire qui nous est volontairement tue aussi il en émane un je-ne-sais-quoi de désuet et de doux à la fois qui m'a rendue un brin mélancolique et n'a pas manqué de me charmer dès les premières pages. Les silences, les regards, parfois tristes mais toujours emplis d'espoir. Un moment comme hors du temps qui nous est raconté par Nathalie, jeune femme dont nous savons peu si ce n'est qu'elle arrive de Belgique, qu'elle est récemment diplômée de l'École des Arts et du Cinéma et qu'elle a décidé de mettre son talent à contribution pour la confection des costumes de scène de notre trio d'acrobates. Un récit entrecoupé de lettres qu'elle adresse à son père, souvenirs d'une autre vie certainement plus heureuse mais aussi plus douloureuse dont elle porte les stigmates à même la peau, en témoignent les lésions de psoriasis qu'elle tente maladroitement de dissimuler.

Et les jours passent, les semaines... L'hiver s'installe, froid, humide, le temps s'étire, invariable dans le vieux bâtiment gris et terne dans lequel sont logés les employés du cirque. Les voix, les éclats de rires ont déserté les lieux, sensation de désolation, ne subsistent que les relents et les odeurs des animaux (qui pourtant sont absents de ce récit) qui se mélangent aux odeurs des corps, de la peau après l'effort, aux odeurs de la mort toujours présente dans les esprits après l'accident qui a failli coûter la vie à l'un des leurs. La mort qui rôde laissant Buck le chat du régisseur dans une lente agonie que l'on souhaiterait qu'elle nous soit épargnée. Car bien évidemment la mort nos trois acrobates la côtoient, la caressent, chaque jour qui passe, la peur, le trac, l'angoisse à chaque répétition comme une montée d'adrénaline nécessaire à leur survie dont ils ne sauraient se passer en échange d'un instant, magique, durant lequel Anna tourbillonne dans les airs tel un astre et qui permet à chacun d'oublier ses souffrances, ses blessures à l'âme pour simplement faire confiance et il n'est jamais chose aisée que celle d'accorder sa confiance quand le corps et l'esprit sont douloureux.

Un très joli roman que celui d'Elisa Shua Dusapin. Son écriture épurée incarne de manière très subtile l'étrangeté liée au monde du cirque. Elle a su capter les petits riens, les moments ordinaires de la vie de ses quatre personnages en nous en brossant des portraits flous que j'ai pour ma part trouvés extraordinaires de simplicité. Alors certes, ce n'est pas dans ce roman que vous serez accueillis par une ribambelle de clowns et par des roulements de tambours ovationnés par un public hilare car l'histoire est ailleurs...


*C'est la belle critique de Cannetille qui a motivé ma lecture, je vous invite à la lire.
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