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Critique de Renod


Renod
05 décembre 2016
« Tout ce qui disparaît me désole. » Benoît Duteurtre exprime une nostalgie douce et amère pour nous raconter la fin d'un monde. Pour ce faire, il puise dans la veine autobiographique. Il retrace le parcours social de la branche maternelle de sa famille et analyse la sociologie de la station balnéaire d'Étretat qu'il fréquente depuis son enfance.

« le 23 décembre 1953, à la surprise générale, René Coty était devenu président de la République française. » Cette élection provoque un cataclysme dans l'existence de ses proches. Habitués à un effacement timide, les voilà projetés dans les fastes de la République, contraints à devoir assumer une notoriété qui leur déplaît. Les petites-filles de René Coty restent indifférentes à la hiérarchie sociale et décident d'épouser des petit-bourgeois (ingénieurs, médecins). Elles choisissent ainsi une vie simple et heureuse, loin des mondanités. le souvenir de l'illustre aïeul s'efface progressivement et chacune finit par mener une vie normale et anonyme.

La deuxième partie du roman s'intitule « La fin du christianisme ». Duteurtre illustre le déclin de la bourgeoisie catholique à travers l'exemple de sa famille. Ses parents formaient un couple à la fois progressiste et très croyant. Enfant, l'auteur appartenait à la chorale de Saint-Thomas-d'Aquin du Havre. Les petits chanteurs entonnaient des morceaux de Lully, Rameau ou Haendel pour la grand-messe. Mais l'esprit libertaire imprègne peu à peu la chorale et bientôt des refrains de guitare issus du répertoire folk américain résonnent au cours de l'office. La chorale devient mixte et perd toute raison d'être. Les premiers renoncements ont marqué le début d'une défaite totale de la tradition. L'ouverture s'est transformée en déconfiture.

Une autre partie du roman porte également un titre évocateur : « La lutte des classes à Étretat ». Ce site est célèbre pour son « aiguille » et ses hautes falaises de craie blanche. Étretat est devenue au cours du XIXème siècle une station balnéaire prisée par la bourgeoisie parisienne. Des familles aisées continuent de s'y rendre chaque saison et pratique l'entre-soi en cultivant les « relations de plage ». C'est un monde fermé qui se retrouve autour de rituels précis : arpenter le Perrey le long des falaises, prendre des bains de mer à heures régulières, manoeuvrer le canot traditionnel nommé périssoire, posséder sa cabine, participer à un gala fin août. Adulte, Benoît Duteurtre tentera de s'intégrer à la société d'Étretat. Il ne parviendra qu'à nouer quelques liens avec les personnages âgées ravies d'échanger avec ce jeune-homme charmant. La plage est partagée avec les touristes issus des campings mais aussi avec ceux issus des quartiers populaires du Havre. La cohabitation est parfois difficile…

Duteurtre regrette la disparition d'une bourgeoisie qui cultivait l'esprit et le luxe et qui savait s'inventer une esthétique. Une classe sociale qui a offert de nombreux artistes à la France et qui se faisait construire des villas de plaisance originales. Désormais, le tourisme n'est plus un privilège, il s'est démocratisé et fait désormais place à une industrie des loisirs qui gomme toutes les disparités pour livrer un divertissement standardisé.

Le 11 août 1999, l'auteur observe l'éclipse totale de soleil de la plage. Ce phénomène symbolise à ses yeux la fin d'un monde à quelques mois de l'avènement d'un nouveau millénaire. La villa familiale est vendue à une famille qui a fait fortune dans la grande distribution, une cousine qui cultivait la mémoire de René Coty décède, certains rituels propres à la société d'Étretat ne sont plus suivis. Pour l'auteur, ce constat peut être étendu à la France. Il regrette la disparition d'un monde remplacé par une modernité décevante. Benoît Duteurtre se désole et relève par la satire quelques traits typiques de notre époque. Il consacre de nombreuses pages au galet d'Etretat qui seul parvient à contenir les marées et à ralentir l'expansion touristique et se moque d'une société avide de "précautions" qui en vient à interdire l'usage d'un canot dans les zones de baignade. Résigné, l'auteur nous livre une nouvelle fois son credo, il faut : "goûter à toutes les joies possibles".
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