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Critique de Pitchval


A-t-on réfléchi à ce qu'était un professionnel aujourd'hui ? Et plus particulièrement à ce qu'était un médecin, profession par souvent considérée comme supérieure. Si l'on a généralement un regard critique sur bien des professionnels, pourquoi est-on plus tentés d'accorder sa confiance à son médecin ? J'ai souvent pensé qu'ainsi placé dans une position de faiblesse, malade et incompétent à se guérir seul, l'homme a besoin de faire confiance, comme une pensée magique. Au moins pour ne point désespérer. Il a besoin d'avoir une confiance quasi aveugle dans ses soignants, seuls capables a priori de le sortir de sa maladie, de lui éviter les tourments et la mort, de le débarrasser d'un mal qui le rend inconfortable. le médecin est alors presque Dieu, s'il peut nous empêcher de mourir. Il est du moins le seul habilité à rédiger une ordonnance, ce qui constitue déjà un motif suffisant pour se le figurer supérieur. Sinon, ce serait accepter le fait de remettre sa santé et sa vie dans les mains d'un professionnel indigne de confiance. Voilà pourquoi, à mon avis, le contemporain préfère se raconter des histoires rassurantes sur les médecins.
N'importe si le patient se leurre, d'ailleurs, en vérité. Son moral n'en sera sans doute que meilleur s'il croit avec ferveur qu'il est entre de bonnes mains, compétentes et professionnelles. Voilà ce qui, à mon avis, explique pourquoi le contemporain fait autant confiance quant il s'agit de sa santé. Il voit le médecin comme un être qui lui est nettement supérieur, et presque d'une autre espèce, parce que cela lui est rassurant. Il préfère ne pas se figurer ce médecin comme un semblable, puisque lui-même n'excelle pas dans sa profession. le désespoir et l'effroi lui seraient trop grand, parce que le contemporain, effrayé par la mort et fort importuné par la mauvaise santé, seuls variations véritables à son confort béat, préfère voir en la personne du médecin un être plus sage, plus consciencieux, plus impliqué dans son travail et méticuleux que lui-même. Il se figure la médecine comme un sacerdoce parce que cela le rassure, qu'il se sent « pris en mains », protégé par un être supérieur, de sorte que rien ne nuit à sa tranquillité.
Seulement, faudrait-il, pour s'épargner quelques tourments, continuer de se fourvoyer presque volontairement ? La médecine, sujet de ce roman, n'est pourtant pas la seule profession concernée par le bénéfice du doute. J'ai remarqué comme souvent les gens avaient foi en un avocat, par exemple, homme providentiel aux pouvoirs qui leur paraissent presque surhumains, en tous cas bien au-delà de leurs propres capacités.
Romain, lui, et dès son plus jeune âge, ne s'y laisse pas prendre. À onze ans déjà, il a l'esprit suffisamment aiguisé pour examiner les pratiques du médecin généraliste du village. Il est de ces rares esprits qui, très tôt, refusent la pensée commune et les croyances rassurantes.
C'est pourtant la médecine qu'il élit. Non pas pour ressembler, bien au contraire, mais pour dépasser. Pour faire autrement.
Romain est un enfant atypique, dès le commencement. Il est doué d'un sain recul, de façon qu'il peut, très trop, distinguer et discriminer, observer les gens et se faire un avis propre. C'est avec ce même discernement, pur et haut, qu'il entame ses études.
Il est évident que derrière l'étudiant se trouve l'auteure. Les portraits des déments, notamment, sont d'une belle justesse en plus d'être émouvants. de même que les pratiques médicales visant à soulager les malades en fin de vie ne se devinent pas. Andréa Duval a vu, il ne peut en être autrement. Elle a observé, avec ce même regard que porte Romain sur les médecins, les enseignants, les pratiques. La médecine ne peut lui être étrangère. D'ailleurs, comment un quidam sans lien avec le milieu aurait-il pu écrit un tel roman ? Impossible, environ, à moins d'approximations et d'imprécisions. Ce n'est pas le cas : nous nous sentons, à la lecture de cette oeuvre, pénétrer dans ce milieu qu'on ne voit de l'extérieur que comme un temple du savoir et de la sagesse scientifiques.
D'ailleurs, Andréa Duval est bien une scientifique, ça ne fait aucun doute : elle observe, décortique, dissèque et examine à la manière d'un chercheur, sans parti pris et sans a priori. Elle évite, tout comme son personnage, de se laisser influencer par les biais communs. Notamment, elle ne considère pas d'emblée un médecin comme un être supérieur.
Elle est également lucide et froide quant aux étudiants en médecine. Ainsi, l'auteure décrit également les soirées étudiantes et toute l'insipidité des aspirants à la profession. Mais quoi ? La faculté ne leur enseigne-t-elle pas des absurdités ? de sorte qu'obtenir un diplôme de médecine ne tient à peu près qu'à l'assiduité avec laquelle l'étudiant a toléré le bachotage et les apprentissages inutiles ?
Au delà de la faculté de médecine, ce roman prête à réfléchir à n'importe quel diplôme. le diplôme fait-il le professionnel, s'il est la somme d'inutilités apprises par coeur et de complaisances envers ses enseignants ?
Si j'avais déjà pressenti ce que le quatorzième Dément me confirme, je n'en n'ai pas moins été édifiée, ou plutôt largement confirmée. Un tel roman fut l'occasion pour moi de réfléchir à nouveau à mes propres pratiques professionnelles, aux automatismes qui ne sont plus remis en question, que l'on ingurgite une fois pour toute et sans fondement ou presque, et sur lesquels on s'appuie toute une carrière sans jamais les ré interroger. Il m'a aussi confirmée dans une idée que j'ai depuis toujours, et dans une activité que j'ai toujours pratiquée : chaque professionnel devrait écrire sur ses propres pratiques et sur sa profession. Afin d'y voir plus clair et d'en puiser un avis lucide et objectif. Il est toujours nécessaire de réfléchir très régulièrement à ses façons de travailler, ainsi que de se représenter précisément ses supérieurs ou ses maîtres.
Car enfin, s'il est question de médecine dans cette oeuvre, l'idée générale peut être aisément transposée à toutes les professions et à tous les professionnels. le quatorzième Dément, au-delà de l'hôpital, est une peinture de la société contemporaine, dans laquelle chacun est une sorte d'imposteur que l'on ne juge surtout pas. D'ailleurs, l'enseignement de toute discipline est aussi interrogée, voire dénoncée. Un bon disciple est-il vraiment celui qui boit les paroles du professeur ? Ou bien celui qui a, dès le départ, cet esprit lui permettant un regard critique, lucide et froid sur ses enseignants ? Comment un professeur peut-il être une sorte de dieu qu'on ne peut contredire quand chacun peut, après quelques observations, déceler chez lui un amateurisme ainsi que de grossières feintes ?
Le format du roman semble une sorte de prétexte à l'auteure, en ce que ce qui ne concerne pas la médecine - et à part quelques scènes sexuelles fort bien écrites et une histoire d'amour plus qu'intéressante - paraît être une sorte de broderie. Si elle se montre méticuleuse et rigoureuse dans son domaine de prédilection, le reste est un décor, et plutôt vague et peu réaliste. Vous n'apprendrez rien d'édifiant, dans ce roman, concernant le monde rural, ou les agriculteurs. Vous n'aurez aucune peinture poétique et évocatrice d'un paysage ni d'aucun lieu non plus. C'est à peine si l'auteur -et peut-être est-ce dû à son jeune âge - sait ce qu'est un enfant. de fait qu'on s'interroge : n'aurait-il pas mieux valu un essai ? En théorie, oui. Seulement, le choix du roman permet une chose : l'accessibilité, le côté plus « grand public », quand un essai semble rébarbatif et n'aurait peut-être pas trouvé de lecteurs. L'ensemble fait l'effet d'un rapport scientifique, mais décoré, encastré dans un récit qui a ce défaut d'être peu vraisemblable quelques fois. Ce qui s'entend : cette mise en couleur, si on peut dire, d'observations méticuleuses, n'a pour seul but de « fabriquer » un roman autour d'une idée qui, elle, est majeure et noble.
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