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EAN : 9782493339010
280 pages
Éditions Les Féaux (07/11/2021)
4/5   1 notes
Résumé :
Tout le monde félicite Romain depuis qu’il a réussi son concours d’entrée en faculté de médecine : dans sa famille et son village, on lui figure un avenir brillant, une carrière réputée, une place éminente.
Mais les idéaux s’étiolent lorsqu’il comprend peu à peu la teneur de ses études et ce qu’on attend de lui. Romain n'est pas de ceux qui se satisfont d'obéir aveuglément : il s'efforcera, qu'importe les risques, de satisfaire son idéal de la médecine en s'a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Considérer la littérature comme correction du regard ou recentrage du point de vue. L'admettre comme effacement méthodique de préjugés. La reconnaître comme dépassement d'un conditionnement figeant la perception humaine dans une confortable torpeur et faisant admettre réel ce qui n'existe pas ou ce qui n'est que dans l'imaginaire inquestionné des foules. La littérature comme porte d'accès au vrai, rétablissement ou affinement du discernement. Comme direction vers l'individu qui dort en nous, qu'il faut tirer de son reposant sommeil, au détriment de notre oublieuse pièce de troupeau. La littérature et les Livres : révélations successives vers un paradigme nouveau. Écrire ou lire : viser l'original et l'inédit. Tout le reste n'est que décoration et vantardise ; tout le reste n'est que mondanité et divertissement.
Alors, de toutes les littératures possibles, élire celles qui pourfendent les illusions dominantes, ces illusions qui, sises au sommet des représentations sociales et morales, en déterminent beaucoup d'autres. Si l'on a le choix, si l'on sait où chercher, hiérarchiser la littérature selon ce qui invalide ou vérifie la réalité d'une somme de conceptions, d'une grande somme de contenus d'autres livres. Faire ainsi l'économie de tout texte qui se subsume dans une autre oeuvre, comme une question de priorité quand on manque de temps. Or, l'existence est une course à l'édification : s'aviser d'être le moins stupide en franchissant la ligne d'arrivée, de manière au moins à n'avoir pas seulement cru courir. C'est pourquoi je crois qu'il faut toujours commencer par installer ou réviser les infrastructures de la pensée.
Et justement, la médecine, en ce siècle, profite illégitimement du bénéfice-du-doute, et elle se constitue largement comme consensus irréfléchi et supérieur, déterminant et conditionnant maintes pensées et d'une façon morale, c'est-à-dire d'une manière largement transversale et conséquente. le Contemporain la considère toujours le témoignage d'un summum d'accomplissement scientifique, il y trouve la confirmation du glorieux mythe de la valeur humaine, et il a foi en elle, il a besoin de lui accorder sa foi, parce qu'elle représente le point d'excellence du Progrès où il pense se situer, c'est-à-dire de toute l'évolution humaine où il se croit méritoirement compris. Puisqu'il n'accepte pas d'être rien, et puisque son oeuvre est manifestement courte et dérisoire, il préfère qu'elle s'inscrive dans une dimension collective qui, elle, peut le valoriser d'un certain grandiose, même s'il n'y a pas contribué personnellement : il se trouve soudain du mérite, il se sent appartenir à un vaste destin, celui non d'un individu mais d'une société ou même d'une civilisation qui n'a pourtant que faire de sa prétendue participation, si minuscule et insignifiante en effets, mais à laquelle il se croit contributeur tandis qu'il n'en est que témoin passif. Et c'est notamment parce qu'il estime d'emblée la médecine comme un haut degré symbolique de perfectionnement qu'il s'empêche de reconsidérer la valeur de la modernité à laquelle il s'assimile en vertus : le développement des sciences, et en particulier de celles dont les effets concrets et visibles persuadent le mieux de leur efficacité en les établissant à une échelle quotidienne et « constatable », parmi lesquelles les sciences pathologiques, contribuent à installer le Contemporain dans la foi presque aveugle en l'ère miraculeuse et salutaire, ressentie comme providentielle et nécessaire, des savoirs et des technologies non seulement dans laquelle il vit mais pour laquelle il vit. Non qu'il sache au juste en quoi consiste par exemple la médecine ou tout ce qui dépasse sa capacité et dont par délégation républicaine il refuse de s'informer, non qu'il ait la moindre idée d'un principe scientifique en matière de physiologie ou d'étiologie, mais il ne s'abstient pas de trouver évidemment qu'ici et là des malades guérissent, et ce constat suffit pour lui communiquer une fierté indue et l'empêcher de révoquer la grandeur de la sorte de magie blanche en quoi consiste le passage d'un état désagréable à un état de joyeuse humeur qui caractérise stéréotypiquement la bonne santé.
Mais le docteur est resté bel et bien le prêtre d'autrefois, magicien mystérieux et sacré pour l'ensemble d'une population dénuée de volonté et donc d'esprit d'examen. On le consulte pour des motifs analogues au prêtre, comme le personnage de Jeanne dans Une Vie réclame à son curé de lui indiquer comment faire accepter sa grossesse à son mari. On a niaisement pris l'habitude d'aller voir le docteur pour des conseils intimes situés hors de son champ de compétence, et c'est parce qu'on l'admet un notable et un sage, une sorte de sorcier vénérable, un homme en-dehors de tout soupçon. Aujourd'hui, ne pas le consulter régulièrement est réprouvé, il est admis qu'il faut lui rendre visite à de certains intervalles même sans symptôme, au point qu'aller bien sans son médecin, comme naguère conserver sa vertu sans l'intervention de son prêtre, est considéré comme suspect, c'est en tous cas un comportement déviant ou, du moins, risqué. On respecte et on craint cet homme à peu près comme un devin, comme une entité et comme une allégorie : Knock est Savonarole au service de l'argent, il n'y a entre eux que la différence des moyens techniques. Toute Ordonnance vaut une Indulgence pour la mentalité d'aujourd'hui. En suivant la prescription, on se conforme au Bien, et ne pas la suivre, c'est comme risquer que ses péchés ne soient pas rachetés, c'est aventurer la colère d'une Providence, c'est mériter le Mal s'il vient – la faute –, et identifier l'origine du Mal – la maladie – quand il viendra. Il faut être bien déraisonnable pour s'opposer au représentant de la bienveillance et des miséricordes. On accuse facilement, comme ça s'est vu et se voit encore, les rétifs à telle cure notoire et dominante d'être des arriérés de l'avancée implacable et fatidique de la grandeur humaine, au même titre qu'on reprochait aux athées de faire porter par leur incrédulité le discrédit de Dieu sur l'espèce tout entière. Les moeurs unanimes font toujours, de la résistance au dogme majoritaire, un entêtement coupable, c'est-à-dire un péché, et même pire : une calamité, parce qu'elle les désapprouve tacitement et signifie tacitement leur résistance et leur opposition. Ne pas se soumettre humblement à la médecine et refuser par exemple une de ses recommandations, est un interdit et un blasphème de grand péril, c'est un crime de lèse-Progrès et d'insolidarité sociale, c'est un Égoïsme et un Orgueil, c'est devenir soudain aux yeux du monde un amish aberrant et absurde, et c'est surtout encourir par son incompréhensible obstination la réprobation publique non sans pressions et châtiments lourds, y compris de nature juridique et légale. Même le dernier vaccin controversé mis à part, on ne persisterait pas facilement à refuser un médicament. Dieu sait, le Siècle sait, le sacré au Ciel et le sacré sur Terre savent, donc le prêtre et le médecin savent aussi qui incarnent leurs préceptes – et même plus encore pour la médecine qui passe pour discipline du perpétuel futur, tandis que la religion passe : pour beaucoup Dieu est mort, mais la Science reste immortelle au regard des foules, on est aujourd'hui athée mais en gardant la Foi dans les prosaïques innovations de l'avenir. S'opposer à un jugement aussi éclairé, consommé et validé par le Siècle, ou c'est braver le monde et oser le sacrilège, ou c'est devenir ostensiblement Intempestif – Grincheux, Complotiste, Rétrograde, Radical, Terroriste, etc. Et, toujours, l'idée qu'y résister nuit au Siècle lui-même, que c'est une tache ou une plaie sur le superbe blason de l'humanité : il faut se résoudre à la Parole, à ces Évangiles-là toujours renouvelés, ou bien faire retomber sur la communauté une façon de malédiction qu'on appelait d'ailleurs, aussi, « Contagion ». Se désolidariser des usages moraux répandus, c'est juste cela, le Mal, il n'y a pas d'autre péché au monde. On applaudira encore longtemps les Personnels de santé parce qu'on se figure que leur abnégation et leur rôle est un syncrétisme des valeurs anciennes et des valeurs d'avenir : la médecine est une fusion de la croyance et de la modernité, c'est très exactement la religion du Progrès, et le docteur est son prophète ou, du moins, son prêtre fervent et obéi.
Critiquer la médecine est donc fondamental à notre époque, parce que de son jugement dépend toutes sortes de considérations morales extérieures fondées sur son appréciation : si le docteur n'est plus digne de vénération, alors c'est un large pan de nos conceptions morales qui s'effondre en même temps que son image vénérée. Encore doit-on, pour y toucher hautement et justement, pour atteindre à ces choses sacrées ou tabou, être « qualifié », au même titre qu'il fallut un Chrétien pour établir la Réforme : il n'y a que le docteur pour critiquer sa Confrérie, Molière à l'époque de ses satires n'était aux yeux des savants qu'un dangereux bouffon, autrement on suppose que c'est pure médisance de se livrer à de semblables assauts, voire le produit d'une vengeance personnelle. Pour parler de sainteté, il faut ou la rancune diabolique ou une parcelle incontestable de sainteté. Par exemple, si les justes diatribes qu'on tient actuellement contre le journalisme ne portent point à conséquence, c'est parce que généralement elles n'émanent pas des journalistes eux-mêmes : on croit donc que les blâmes qui lui sont adressées ne procèdent que d'une mauvaise foi destructrice et motivée par quelque rancune. Vraiment, le Contemporain ainsi fait n'est pas près de saisir la superbe philosophie de Nietzsche « au marteau », car il reste loin d'accepter l'idée exterminatrice de polémique avec ce que cela implique de renversements et d'annihilation du Faux : il tient surtout, en débattant, à ne rien abîmer, à moins d'avoir l'air de s'abîmer soi-même ; en somme, il faut être christique pour porter une cause contre une autre, et s'affliger dans la lutte, s'immoler au combat, se heurter en martyr. C'est où l'on donna tort au philosophe allemand : il n'était pas du tout assez chrétien pour s'assumer antéchrist, il n'avait rien à perdre, il n'avait aucune souffrance intérieure à faire valoir comme gage de sa « bonne foi », il semblait même, à vrai dire, prendre plaisir à faire triompher les vérités et à abattre les mensonges et les idoles – c'était « trop facile ». On ne tolère ainsi le racisme que lorsque c'est un Noir qui s'exprime. Et encore, on cherchera longuement à vérifier si ce Noir-là n'est pas d'un sang mélangé, car il paraît qu'il est des Noirs qui, pour avoir la peau foncée, ne sont pas assez nés dans l'état d'esprit d'un Noir ; il y a des Noirs critiques qui, si noirs soient-ils, sont impurs à la race, dit-on ; ce ne sont pas des Noirs véritables. C'est ainsi qu'un soupçon pèse sur tout briseur de faussetés, sur tout iconoclaste, parce qu'on suppose que, dans son audace révélatrice, il n'a encore pas assez perdu. Humble, il eût au moins dû abandonner sa satisfaction d'être fier ou heureux de gagner. Un héros hardi et triomphant posant le pied sur des ruines est, pour le Contemporain, une image de défaite, une preuve de vice. La gloire doit se présenter pour lui sous la forme symbolique d'un visage baissé, et toute personne de succès, pour être adulée, doit ressentir et exprimer la honte d'avoir réussi. le Black Power, quand il lève le poing, regarde au sol ou met un genou à terre. Malgré la succession des âges et la prétendue fin des superstitions, on continue de penser qu'un vainqueur ne vaut vraiment que s'il se rencontre dans la posture de quelqu'un qui prie. Nous demeurons un atavisme, décidément, faute de réforme morale profonde, faute de réinstruire toutes nos piètres et veules imageries. Jeanne d'Arc gagnerait encore aujourd'hui à se présenter au suffrage du peuple : on l'acclamerait. Une voix lui parlait : elle ne faisait qu'obéir malgré elle, elle se serait presque excusée de pourfendre ses ennemis ; quand elle assassinait, elle était dominée : c'était, pour employer l'expression moderne exactement congruente, une « femme sous emprise » ! On continue d'adorer celles et ceux qui pleurent de douleur après l'avoir emporté. On tranche toute inimitié actuelle en estimant que le camp du Juste est le camp de celui qui manifeste le plus sa souffrance.
Or, on devine sans difficulté que Duval sait exactement ce dont elle parle, qu'elle ne traite pas à la légère la sorte d'objectif d'anathème qu'elle lance contre la médecine contemporaine dont la description est frappée du sceau indéniable de la vraisemblance. Elle est une infiltrée, de toute évidence : il lui fallait cette légitimité-là pour porter, elle garde cette odeur de sainteté nécessaire à blâmer les saints, il y a de la blouse blanche et de l'asepsie dans son vocabulaire et dans son style. Et depuis cette position intérieure et panoramique, elle décrit ce qu'elle voit, sans égards particuliers, ni censure, ni réserve, sans tout ce fatras de prismes et de tamis qui sert surtout à ne pas rapporter tel quel ce qu'on observe. Or, j'ai longtemps déploré que notre époque se caractérise par un amateurisme généralisé et dissimulé en homogénéité de compétence, en égalité de travail, c'est-à-dire, finalement, en égalité d'incompétence, et je m'étais logiquement demandé par quel miracle des domaines comme la politique ou la médecine y auraient échappé. S'imagine-t-on que les vocations ou que certaines carrières jugées nobles seraient particulièrement imperméables aux compromissions du siècle où elles existent ? Et par quel hermétisme, je vous prie ? Suivant quelle intégrité et sous quelle égide saurait-on résister aux vices prégnants et contagieux de son époque ? Est-ce qu'on ne voit pas toujours, après avoir longuement considéré la prêtrise comme exemple, des curés qui usent de cette image immaculée pour abuser d'enfants, et même en nombre ? Est-ce que Nietzsche ne disait pas déjà, au XIXe siècle, qu'un ecclésiastique en savait logiquement assez sur l'histoire de sa religion pour qu'on soit contraint d'admettre que c'est délibérément qu'il ment ? Ce sont ensuite les hommes politiques dont on s'est aperçu de la turpitude ; on est revenus peu à peu de la vision de leur impeccabilité, de leur puissance, de leur dignité intouchable. Pourquoi les médecins ne seraient-ils pas bientôt les suivants, je veux dire les faux parfaits, les pseudo-purs, les incorruptibles pourris, les tartuffes ? Pourquoi ne seraient-ils pas compris eux aussi dans la liste exhaustive des Contemporains ? Pourquoi constitueraient-ils, au sein de la société dont ils s'imprègnent et où ils ne paraissaient supérieurs ou différents qu'à ceux qui ne les connaissent point, une catégorie d'exception ? S'agit-il, dans la société, de « marginaux » ? Non pas, ce sont manifestement des gens très bien insérés partout où ils s'adressent, acceptés par le monde avec une franche cordialité, et qui ne passent pas pour vivre en ascètes insolubles, en sorte qu'on ne peut prétendre que, par leur exception ou leur exemple humiliant, ces professionnels dérangent moindrement les longues habitudes de paresse et d'évanescence du reste de la population. C'est bien le signe qu'on leur trouve quelque égalité de caractère et de valeurs, que leur vertu au moins ne transparaît pas comme l'indice d'une incitation au redressement, d'une injonction à la rigueur, d'une sommation à quelque changement qui oblige et qui importune. Or, celui qui, comme le médecin, conserve les gens piètres dans leurs usages fautifs, celui-ci appartient incontestablement à la société de ces gens, il ne saurait même se constituer comme une « contestation silencieuse » en ce que la discrétion ou le mutisme, chez nous, en ce que la suspension du jugement parmi un peuple si fanfaron et bavard comme le nôtre, est ce qui détonne le plus, ce qui frappe l'attention de la façon la plus ostensible possible : nous vivons l'époque où l'être le plus visible et dérangeant est celui qui se tait. Mais le médecin, lui, n'apporte aucun trouble, ne s'abstient même pas de parler, il accompagne bien plutôt qu'il ne corrige, il est par conséquent sans conteste un Contemporain comme les autres.
Alors, dans ce roman, la description de la médecine vue de l'intérieur est une réjouissance et une révolution de paradigme pour beaucoup. le respect d'office est d'emblée battu en brèche, et l'on peut enfin tâcher d'y examiner un peu quelque chose, sans préjugé, sans moraline, sans cette solidarité poisseuse et sociale qui atténue les constats en excuses ou en fatalisme. Ce qu'on fait et qu'on apprend en faculté de médecine, qui semble absolument normal au natif de notre siècle de décadence habitué à son esprit général de négligence et d'irréflexion, à cette absurdité anéantissante de l'acquisition de toutes sortes de vide diplômants, est découvert, bien sûr, à l'imitation de tout ce qui est banalement inefficace dans la formation de n'importe quel domaine… et comment en serait-il autrement ? Toutes ces années d'apprentissage sont un bachotage vite oublié, sans nulle élévation ni orgueil, inapproprié à poser les fondements de la moindre estime de soi basée sur l'usage d'une intelligence complète, reposant sur des doctrines parfois étonnamment contradictoires, et où il s'agit essentiellement pour l'étudiant de s'adapter à des professeurs et à des modes d'évaluation plutôt imbéciles. Comme partout ailleurs, la médecine dissout dès l'initiation le sens critique et la pensée individuelle : bien suivie et adhérée, sa formation incite tôt à ne rien considérer, à s'abstenir de tout jugement et à tout accepter des doctrines et des dogmes quoique d'une façon profondément provisoire, j'entends par ce mot : de manière systématiquement superficielle. C'est une machine de bétail au sein parfaitement assimilé d'une société réduite, faute de pertinences pour étudier et pour enseigner, à juger discriminatoire le seul fait de noter de véritables intelligences et qui s'empresse alors de sanctionner plutôt des quantités de cours appris que des qualités de réflexion subtilement inférée. le quatorzième dément est en cela parfaitement inactuel, anachronique, intempestif : c'est un ouvrage qui propose l'audace de regarder avec discernement ce que le discernement ne peut qu'insulter, un livre qui s'attache à montrer un milieu spécifique d'aujourd'hui avec l'esprit sensé et distancié d'une autre époque et d'une raison détachée de tout contexte. Quand tout va toujours très bien au Contemporain qui observe le système où il vit avec la compréhension innée des nécessités administratives et statistiques de son temps – il ne voit ainsi le mal nulle part autour de lui, car jamais il ne prend le temps du recul pour effectuer des comparaisons, il a toujours vécu là et il ne lui semble pas qu'il puisse exister d'autres là répondant à des normes plus nécessaires ou plus sages –, ce récit de la formation médicale propose d'objectiver un univers de transmission sous l'angle du succès (ou non) de l'apprentissage, théorique ou pratique, d'un état esprit scientifique. Or, c'est de toute évidence un échec cuisant, un lamentable parcours où les moyens ne correspondent qu'à des objectifs chiffrés et déshumanisés, comme en toute grande École de notre cher Hexagone ; dès le concours, subir le par-coeur imbécile le plus « à la française » ; pour le docteur, au terme de ses diplômes vides, chuter tristement, depuis le piédestal automatique où une sorte de rumeur le maintient, vers l'opportunisme serein et prétentieux, dissimulé, et, pour tout dire, vers la routine la plus négligente où sombre toujours le c
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A-t-on réfléchi à ce qu'était un professionnel aujourd'hui ? Et plus particulièrement à ce qu'était un médecin, profession par souvent considérée comme supérieure. Si l'on a généralement un regard critique sur bien des professionnels, pourquoi est-on plus tentés d'accorder sa confiance à son médecin ? J'ai souvent pensé qu'ainsi placé dans une position de faiblesse, malade et incompétent à se guérir seul, l'homme a besoin de faire confiance, comme une pensée magique. Au moins pour ne point désespérer. Il a besoin d'avoir une confiance quasi aveugle dans ses soignants, seuls capables a priori de le sortir de sa maladie, de lui éviter les tourments et la mort, de le débarrasser d'un mal qui le rend inconfortable. le médecin est alors presque Dieu, s'il peut nous empêcher de mourir. Il est du moins le seul habilité à rédiger une ordonnance, ce qui constitue déjà un motif suffisant pour se le figurer supérieur. Sinon, ce serait accepter le fait de remettre sa santé et sa vie dans les mains d'un professionnel indigne de confiance. Voilà pourquoi, à mon avis, le contemporain préfère se raconter des histoires rassurantes sur les médecins.
N'importe si le patient se leurre, d'ailleurs, en vérité. Son moral n'en sera sans doute que meilleur s'il croit avec ferveur qu'il est entre de bonnes mains, compétentes et professionnelles. Voilà ce qui, à mon avis, explique pourquoi le contemporain fait autant confiance quant il s'agit de sa santé. Il voit le médecin comme un être qui lui est nettement supérieur, et presque d'une autre espèce, parce que cela lui est rassurant. Il préfère ne pas se figurer ce médecin comme un semblable, puisque lui-même n'excelle pas dans sa profession. le désespoir et l'effroi lui seraient trop grand, parce que le contemporain, effrayé par la mort et fort importuné par la mauvaise santé, seuls variations véritables à son confort béat, préfère voir en la personne du médecin un être plus sage, plus consciencieux, plus impliqué dans son travail et méticuleux que lui-même. Il se figure la médecine comme un sacerdoce parce que cela le rassure, qu'il se sent « pris en mains », protégé par un être supérieur, de sorte que rien ne nuit à sa tranquillité.
Seulement, faudrait-il, pour s'épargner quelques tourments, continuer de se fourvoyer presque volontairement ? La médecine, sujet de ce roman, n'est pourtant pas la seule profession concernée par le bénéfice du doute. J'ai remarqué comme souvent les gens avaient foi en un avocat, par exemple, homme providentiel aux pouvoirs qui leur paraissent presque surhumains, en tous cas bien au-delà de leurs propres capacités.
Romain, lui, et dès son plus jeune âge, ne s'y laisse pas prendre. À onze ans déjà, il a l'esprit suffisamment aiguisé pour examiner les pratiques du médecin généraliste du village. Il est de ces rares esprits qui, très tôt, refusent la pensée commune et les croyances rassurantes.
C'est pourtant la médecine qu'il élit. Non pas pour ressembler, bien au contraire, mais pour dépasser. Pour faire autrement.
Romain est un enfant atypique, dès le commencement. Il est doué d'un sain recul, de façon qu'il peut, très trop, distinguer et discriminer, observer les gens et se faire un avis propre. C'est avec ce même discernement, pur et haut, qu'il entame ses études.
Il est évident que derrière l'étudiant se trouve l'auteure. Les portraits des déments, notamment, sont d'une belle justesse en plus d'être émouvants. de même que les pratiques médicales visant à soulager les malades en fin de vie ne se devinent pas. Andréa Duval a vu, il ne peut en être autrement. Elle a observé, avec ce même regard que porte Romain sur les médecins, les enseignants, les pratiques. La médecine ne peut lui être étrangère. D'ailleurs, comment un quidam sans lien avec le milieu aurait-il pu écrit un tel roman ? Impossible, environ, à moins d'approximations et d'imprécisions. Ce n'est pas le cas : nous nous sentons, à la lecture de cette oeuvre, pénétrer dans ce milieu qu'on ne voit de l'extérieur que comme un temple du savoir et de la sagesse scientifiques.
D'ailleurs, Andréa Duval est bien une scientifique, ça ne fait aucun doute : elle observe, décortique, dissèque et examine à la manière d'un chercheur, sans parti pris et sans a priori. Elle évite, tout comme son personnage, de se laisser influencer par les biais communs. Notamment, elle ne considère pas d'emblée un médecin comme un être supérieur.
Elle est également lucide et froide quant aux étudiants en médecine. Ainsi, l'auteure décrit également les soirées étudiantes et toute l'insipidité des aspirants à la profession. Mais quoi ? La faculté ne leur enseigne-t-elle pas des absurdités ? de sorte qu'obtenir un diplôme de médecine ne tient à peu près qu'à l'assiduité avec laquelle l'étudiant a toléré le bachotage et les apprentissages inutiles ?
Au delà de la faculté de médecine, ce roman prête à réfléchir à n'importe quel diplôme. le diplôme fait-il le professionnel, s'il est la somme d'inutilités apprises par coeur et de complaisances envers ses enseignants ?
Si j'avais déjà pressenti ce que le quatorzième Dément me confirme, je n'en n'ai pas moins été édifiée, ou plutôt largement confirmée. Un tel roman fut l'occasion pour moi de réfléchir à nouveau à mes propres pratiques professionnelles, aux automatismes qui ne sont plus remis en question, que l'on ingurgite une fois pour toute et sans fondement ou presque, et sur lesquels on s'appuie toute une carrière sans jamais les ré interroger. Il m'a aussi confirmée dans une idée que j'ai depuis toujours, et dans une activité que j'ai toujours pratiquée : chaque professionnel devrait écrire sur ses propres pratiques et sur sa profession. Afin d'y voir plus clair et d'en puiser un avis lucide et objectif. Il est toujours nécessaire de réfléchir très régulièrement à ses façons de travailler, ainsi que de se représenter précisément ses supérieurs ou ses maîtres.
Car enfin, s'il est question de médecine dans cette oeuvre, l'idée générale peut être aisément transposée à toutes les professions et à tous les professionnels. le quatorzième Dément, au-delà de l'hôpital, est une peinture de la société contemporaine, dans laquelle chacun est une sorte d'imposteur que l'on ne juge surtout pas. D'ailleurs, l'enseignement de toute discipline est aussi interrogée, voire dénoncée. Un bon disciple est-il vraiment celui qui boit les paroles du professeur ? Ou bien celui qui a, dès le départ, cet esprit lui permettant un regard critique, lucide et froid sur ses enseignants ? Comment un professeur peut-il être une sorte de dieu qu'on ne peut contredire quand chacun peut, après quelques observations, déceler chez lui un amateurisme ainsi que de grossières feintes ?
Le format du roman semble une sorte de prétexte à l'auteure, en ce que ce qui ne concerne pas la médecine - et à part quelques scènes sexuelles fort bien écrites et une histoire d'amour plus qu'intéressante - paraît être une sorte de broderie. Si elle se montre méticuleuse et rigoureuse dans son domaine de prédilection, le reste est un décor, et plutôt vague et peu réaliste. Vous n'apprendrez rien d'édifiant, dans ce roman, concernant le monde rural, ou les agriculteurs. Vous n'aurez aucune peinture poétique et évocatrice d'un paysage ni d'aucun lieu non plus. C'est à peine si l'auteur -et peut-être est-ce dû à son jeune âge - sait ce qu'est un enfant. de fait qu'on s'interroge : n'aurait-il pas mieux valu un essai ? En théorie, oui. Seulement, le choix du roman permet une chose : l'accessibilité, le côté plus « grand public », quand un essai semble rébarbatif et n'aurait peut-être pas trouvé de lecteurs. L'ensemble fait l'effet d'un rapport scientifique, mais décoré, encastré dans un récit qui a ce défaut d'être peu vraisemblable quelques fois. Ce qui s'entend : cette mise en couleur, si on peut dire, d'observations méticuleuses, n'a pour seul but de « fabriquer » un roman autour d'une idée qui, elle, est majeure et noble.
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Le Quatorzième Dément est un livre de ouf. de oufs, devrais-je plutôt écrire. Ce serait lapidaire de le critiquer ainsi. En fait, c'est un cake salé. Oui, salé ! Un goûteux cake avec des ingrédients de choix. Ma soeur, sinon qu'elle aime cuisiner, n'a rien à faire dans cette page, toutefois, elle dirait que c'est une tuerie. Une tuerie, c'est un peu le mot qu'on choisit quand on manque de vocabulaire. Ça fait taire toutes les objections. C'est une critique au tranchoir. Tchack-tchack-tchack  !

Dans ce cake, des morceaux somptueux de foie gras (les végan·e·s peuvent lire « tofu soyeux »), des gros ! Des lamelles —épaisses, foin d'avarice dans ce livre — de truffe noire (du Périgord), des asperges cueillies à la gouge dans le jardin du vieil Émile, le veuf, précurseur de la permaculture, comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. Un vin de Sauternes.
Une tuerie.
Oui, Agnès, merci ! Une tuerie !

Bon, en fait, j'égare le client. Ce n'est pas un livre de cuisine, c'est de la peinture. J'en veux pour preuve la fresque que l'auteur nous donne à voir des treize premiers déments ! Pages magnifiques. Selon la culture de chacun, on y associera le tableau de son choix. Moi, j'ai vu une danse macabre peinte a fresco sur les murs d'une chapelle du XVe. À genoux, je l'ai lue, la fresque... tous ces transis ! Cette danse. Ce sont des pages magnifiques, vous savez, ces pages, qu'on aurait aimé écrire soi-même et excitent notre jalousie (ou notre admiration, c'est selon, ou un peu des deux), des morceaux de tofu soyeux (les carnassier·ière·s liront « foie gras ») qui fondent sous la dent, qui font dire que lorsque l'auteur aura affiné son tour de main, ses liaisons, ses transitions... Ce sera un grand. Juste en passant, chapeau à la jeune maison d'édition d'offrir un tremplin à une prometteuse auteure en herbe.

Ailleurs des pages criantes, vécues sans doute ou approchées, côtoyées, d'étourdissement, d'abrutissement, d'avilissement, de sursaut... La peinture d'un idéal rencontrant le réel. le heurt... Les heurts... Les choix...
Une peinture portée par un regard féroce sur un monde médical où ne s'agitent que des ego. Et un héros... qui voit ce que les autres ne voient pas et qui veut renverser la table... et qui... puis qui... et qui encore... un destin de héros, quoi...
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Pourquoi ce carcan rigide qui, pour occuper artificiellement plusieurs années de formation, imposait une variété infinie de détails spécieux, dont l’utilité ne se vérifierait jamais par la suite ? À quoi servait-il de ressasser les mêmes questions à choix multiple, sachant que leur correction ne faisait jamais consensus parmi les spécialistes ? ces derniers mesuraient-ils la relativité monstrueuse de tout ce qu’ils croyaient avoir acquis et qui enflait leur vanité, eux qu’une simple décennie de la pitoyable échelle humaine suffisait à priver définitivement de la pertinence – et parfois même de l’exactitude – de leurs savoirs ? Non, ils n’avaient rien compris au cycle délétère qu’ils entretenaient à leur tour, ils ignoraient ce qu’étaient des fondations simples d’une connaissance et ne voulaient pas l’envisager, car ce serait alors admettre toute l’ampleur de leur inconséquence. Les études, de l’avis de Romain, constituaient une frustration, alors qu’elles devraient lui être une plénitude d’apprentissage.
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Au commencement de ses études, Romain ne méprisait pas la médecine par principe. Le scepticisme prudent que lui inspirait l’abord de toute nouvelle discipline – tout particulièrement celles qu’il savait modernes et novatrices, révélées au public par un soudain engouement ou créées de toutes pièces à partir d’une idée concept – ne signifiait pas qu’il désirait absolument s’apercevoir que tout était faussé en ce monde, ni démontrer que nul n’était professionnel et digne de confiance, ou encore se complaire dans le désespoir factice de se sentir seul lucide parmi les adorateurs d’illusions et les idiots incapables. Non, rien ne le réjouissait plus que d’être saisi d’une fascination, après avoir identifié, chez ses formateurs et ses professeurs, le sérieux, la constance et l’audace auxquels il voulait lui aussi atteindre dans son métier, afin d’apprendre à leur ressembler.
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