La Bêtise communique sans cesse, elle fabrique sa propre culture et engendre ses dignitaires. Elle s’est cristallisée dans un totalitarisme mou, mélange de cynisme et de merchandising, qui est voué à présent à s’affronter à la partie adverse. Nous en sommes à chaque instant les acteurs obligés, comme ces personnages aliénés des romans des dissidents de l’Est, au siècle dernier. La refuser, c’est se voir marqué par un opprobre invisible et un déclassement d’autant plus inéluctable qu’il sera recyclé dans l’industrie du divertissement, de la compassion et, de plus en plus, du contrôle.
Nous sommes en passe, nous, les innocents, de nous neutraliser les uns les autres, éperdument, "jusqu’au sadisme total", comme seuls les purs et les innocents peuvent le faire une fois qu’ils ont découvert que leur pureté et leur innocence n’étaient qu’une farce.
Les Tantras, vous révèlera Grégor d’un air accablé, ont été finalement mis à la porte, mais à peine étaient-ils partis qu’ils étaient remplacés par les Vomisseurs, cornaqués par une Hollandaise maigre comme un clou qui les menait dans un grenier spécialement aménagé dans l’ancienne grange du château, où un système de gouttières avait été installé afin qu’ils puissent vomir en toute tranquillité, jusqu’à ce qu’ils se soient purgés de toutes leurs énergies néfastes et soient prêts, comme les Sudators et les Tantras, à la grande communion avec le cosmos.
Vivre avec la peur qui rôde est le grand défi des temps présents, du moins c’est le dilemme tel qu’il est présenté sur les écrans, dans le cône de lumière incident à leur bombardement ondulatoire. Lorsque, débranchant l’ordinateur, on sort des ondes qui y sont associées, on découvre un autre paysage. On peut voir le temps rouler sur lui-même comme un lourd tapis de matière auquel un nombre grandissant de participants brûle de mettre le feu, tandis qu’un nombre plus réduit de protagonistes – mieux équipés – s’affaire à neutraliser les incendiaires.
La réalité c’est que cet ordre nouveau, où la technique commence à jouer sa propre partition, prospère à mesure que le désordre gagne le troupeau, dans lequel les animaux que nous sommes, soumis à des règles de dressage de plus en plus strictes, sont confrontés à d’autres animaux qui refusent ces mêmes règles de dressage et constituent un assemblage de plus en plus vaste d’ennemis que nous lorgnons avec une impatience et un dégoût grandissants sous l’œil de caméras vidéos disposées en réseau, tandis que des hauts parleurs diffusent en boucle une série d’avertissements et d’ordres que nous ne pouvons plus fuir.
La peur est au bord de l’exaspération – au stade de la réclamation, où les procédures à mettre en œuvre pour trouver à se loger, à travailler, à simplement vivre se dévoilent comme relevant de l’art de la guerre.