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Critique de JustAWord


C'est ainsi que nous avons perdu la guerre temporelle…
Entre les lignes, derrière les mots et les circonvolutions brumeuses du récit, la guerre a bien été perdue.
Pour nous l'expliquer, ce sont deux plumes qui s'unissent et s'hybrident : celle de Max Gladstone et celle d'Amal El-Mohtar.
De cette rencontre entre auteurs/éditeurs va naître un ouvrage unique : Les Oiseaux du Temps (This is How You Lose the Time War).
Une bourrasque de prix plus tard, parmi lesquels les prix Locus et Nebula, et voici que le Label Mu des éditions Mnémos nous le propose en langue française grâce à la traduction aiguisée de Julien Bétan.
Un OVNI, pour une collection qui aime les textes aux confins, un met de choix pour les lecteurs français en quête de choses déroutantes.

Nous étions soldats
Les Oiseaux du Temps, ce sont deux agents d'une guerre temporelle qui dure depuis trop longtemps. C'est un peu le problème quand on joue avec l'horloge et L Histoire, c'est qu'on ne voit plus le temps passer.
D'un côté, Rouge, l'une des meilleures combattantes de l'Agence, une entité protéiforme dirigée par une Commandante jamais nommée et qui cherche à contrôler le temps.
De l'autre, Bleu, l'élite de l'élite de Jardin, autre organisation dont on ne sait pas grand-chose si ce n'est qu'elle aussi veut contrôler et tordre L Histoire pour un but qui ne sera jamais expliqué.
Entre ces deux extrêmes, les soldats temporels s'affrontent en influant sur L Histoire, en assassinant ou en sauvant des gens ou des nations.
Un jour, pourtant, Bleu et Rouge entrent en contact. Par une lettre en cendres ou des cendres qui forment une lettre, difficile à dire.
Une lettre qui va mettre en contact deux ennemis. Une lettre pour titiller la curiosité de l'autre, pour le défier.
Seulement…quelque chose d'imprévu arrive.
Au fil des lettres échangées, les deux ennemis sympathisent.
Pire, ils commencent à s'apprécier puis…à s'aimer.
Mais comment faire pour s'aimer quand on est en guerre l'un contre l'autre ?
En perdant la guerre…ou en la gagnant !?
Question de point de vue.

Couleurs primaires
Articulé autour de lettres qui se répondent et de chapitres courts tantôt à propos de Bleu tantôt à propos de Rouge, Les Oiseaux du Temps entretient la brume narrative à dessein. Et le lecteur devra apprendre à nager pour s'immerger complètement dans ce récit volontairement cryptique.
Gladstone et El-Mohtar entrelacent leur récits, leurs lettres, leurs questionnements. L'un répond à l'autre, l'autre répond à l'un.
En formant un puzzle narratif à priori complexe, les deux auteurs nous offrent en réalité à la fois une histoire d'amour inoubliable mais aussi un univers kaléidoscopique fait de mondes alternatifs foisonnants.
On imagine les réalités comme des brins, chaque brin résultant d'une bifurcation infime de l'histoire. Et la tresse du temps, parcourue en amont ou en aval, imbrique ces brins où l'Agence et Jardin se livrent une guerre sans merci.
Cette guerre, on n'en comprendra guère le sens.
Mais qu'importe ?
Au fond, la guerre a-t-elle jamais eu un sens ?
En lieu et place, Amal El-Mohtar et Max Gladstone choisissent l'humanité, ou une forme d'humanité — car nous comprenons rapidement que nos héros ne sont pas humains, qu'ils n'ont pas de genre ni d'âge — et quoi de mieux pour qualifier l'humanité que son sentiment le plus noble et le plus caractéristique : l'amour.

Ne faire qu'un
Bleu et Rouge vont peu à peu apprendre à s'aimer, à s'apprivoiser, à se sublimer l'un l'autre. Cette relecture de Roméo et Juliette à la sauce temporelle utilise à plein pot la délirante imagination des deux auteurs.
Les deux soldats se croisent au sein des hordes mongoles, dans un lointain futur ou dans un lointain passé, changent le destin des Amériques, retournent contempler les différentes versions de Socrate, chassent le phoque en Arctique… les mondes défilent, touches fragiles d'un tableau impressionniste qui sert de toile de fond sublime à une quête amoureuse d'une force croissante.
Au centre, deux individus qui brisent tout : les camps, les genres, les attentes, les conventions.
Deux individus qui éclaboussent de leur poésie impitoyable le lecteur qui n'est jamais prêt. Les Oiseaux du Temps, dans son style et sa verve, est d'une beauté mortelle, l'une de celle qui envoûte et force à relire plusieurs fois le paragraphe précédent pour en saisir les nuances.
Au caractère mécanique et froid de Rouge et de son Agence, voilà que s'oppose l'organique de Bleu et de son Jardin. D'un côté, une vision lente où l'on enracine une stratégie qui mûrit lentement et de l'autre, l'action rapide et bruyante qui claque comme un fouet.
En mêlant ces deux aspects aux héros eux-mêmes et à l'intrigue principale, El-Mohtar et Gladstone découvrent une troisième voie, quelque part entre la reddition et la victoire, une voie qui transcende le temps et les camps.
Chaque écharde du récit a un but, une finalité cachée qui s'assemble à la fin, qui montre la fusion, la réunion, qui prouve de façon littérale que la somme des possibles est plus fort que la solitude de l'être.

D'une poésie impitoyable, d'une créativité torrentielle, d'une férocité amoureuse qui donne le frisson, voici Bleu et Rouge, deux ennemis devenus amants que vous n'oublierez pas de sitôt.
Fusion magnifique d'intelligence et d'originalité, Les Oiseaux du Temps n'additionne pas le talent d'Amal El-Mohtar et de Max Gladstone, il le démultiplie pour en faire quelque chose de neuf, d'envoûtant et de profondément humain.
Voici l'amour au passé, présent ou futur, quelque part entre l'imparfait et le plus-que-parfait, égaré dans les tresses du temps.


Lien : https://justaword.fr/les-ois..
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